Président du futur Lucas Museum, prévu par le réalisateur George Lucas à Chicago

Don Bacigalupi : « Il s’agit d’ouvrir le monde de l’art aux films ou à la BD »

Par Sarah Belmont · Le Journal des Arts

Le 15 septembre 2015 - 846 mots

Fondateur de plusieurs musées d’art américains, Don Bacigalupi a été choisi par le réalisateur et producteur américain George Lucas pour mettre sur pied le projet d’un musée dans le quartier sud de Chicago, au bord du lac Michigan.

Vous avez été nommé président du futur « Lucas Museum of Narrative Art » (le Musée Lucas des arts narratifs »), le 15 janvier dernier. Comment résumeriez-vous votre parcours ?
Fort d’un master et d’une thèse en histoire de l’art, j’ai commencé ma carrière à la fois comme professeur et conservateur, en me spécialisant dans le XXe siècle. Après avoir chapeauté plusieurs expositions universitaires, j’ai été sollicité pour fonder un nouveau musée dans l’Ohio, à partir d’un bâtiment préexistant. C’était la première fois que j’ai pu mener un projet de A à Z, depuis le design jusqu’au recrutement du personnel, en passant par la programmation. Quelques années après, la milliardaire Alice Walton m’a demandé de créer ex nihilo le « Crystal Bridges » [musée consacré à l’art américain], à Bentonville, une ville reculée de l’Arkansas. J’y ai travaillé durant six ans.

À l’époque, vous passez du rôle de directeur général à celui de président. Quelle différence entre les deux fonctions ?
Aucune, vraiment, si ce n’est que j’ai pu dès lors me concentrer sur des partenariats internationaux ainsi que sur des expositions d’envergure, telle « State of the Art » qui rassemblait un millier d’artistes débusqués aux quatre coins des États-Unis. Le succès du Crystal Bridges (un million de visiteurs accueillis en un peu plus d’un an) m’a valu de nombreuses propositions d’embauche après son lancement.

Justement, pourquoi avoir accepté l’offre de George Lucas ?
À force de le fréquenter, lui et sa femme Mellody [Hobson], je me suis rendu compte que son projet coïncidait avec mon envie de rendre l’art accessible au plus grand nombre. Et puis, ce n’est pas comme si j’abandonnais le Crystal Bridges ; j’ai encore un pied dans le conseil. Notre défi est double. Il s’agit non seulement d’initier le public aux arts traditionnels, mais aussi d’ouvrir le monde de l’art à des formes qu’il ne prend pas au sérieux, telles que les films, la bande dessinée et la publicité.

Vous ne construisez ni un temple « Star Wars » ni une cinémathèque, mais un musée « des arts narratifs ». Qu’entendez-vous par cette expression ?
C’est le fil conducteur du musée, un moyen de parler aux gens de l’art qu’ils fréquentent quotidiennement sans le savoir, depuis la préhistoire jusqu’à nos jours. Les dessins rupestres, les frises du Parthénon, les posters, les comic books…, George Lucas entend établir des liens solides entre ces différents modèles narratifs. En tant que réalisateur et collectionneur, n’est-il pas le mieux placé pour le faire ?

Comment se répartira la collection ?

Nous avons opté pour une architecture « organique ». Certains y voient un volcan ; d’autres, une chaîne de montagnes. Les salles d’exposition seront surplombées, au dernier étage, d’un restaurant et d’un observatoire. À ce premier « pic » seront accolées trois salles de projection, où passeront avant-premières et classiques. Quant à l’espace éducatif, il abritera une bibliothèque et des salles de cours. Nous ne fournirons pas de diplômes mais des formations professionnalisantes. Un moyen pour moi de renouer avec la double casquette académique et institutionnelle de mes débuts. Chaque aile sera reliée aux autres, dans le but d’abolir les frontières entre les différents arts traités. J’aime l’idée qu’un adolescent, féru de BD, puisse accidentellement tomber sur une peinture classique. Inversement, je souhaiterais que ma grand-mère, qui ne jure que par Norman Rockwell [peintre américain dont Lucas est un grand collectionneur, NDLR], se retrouve sans le vouloir face à un roman graphique.

George Lucas ne s’est-il pas engagé à construire un pont entre le musée et la péninsule artificielle de Northerly Island, qui fut alternativement un aérodrome, un lieu de concerts, et tend désormais à devenir un espace vert ?
Le projet de pont est en suspens. Certains s’y sont opposés. Nous cherchons donc une autre solution, une liaison par ferry, par exemple. Nous avons en revanche fait appel à Jeanne Gang, l’architecte de Northerly Island, afin d’assurer une ligne esthétique et écologique cohérente entre les deux sites.

L’association Friends of the Parks vous reproche d’empiéter sur un site protégé. Une plainte a même été déposée. L’affaire ne risque-t-elle pas de vous retarder ?
Pas pour l’instant. La plainte vise surtout la Ville de Chicago. Nous suivons l’affaire de loin, pour ne pas nous laisser distraire. De plus, les accusations de Friends of the Parks ne tiennent pas debout. Nous ne sommes pas le premier musée à prendre racine au bord du lac. Trois autres nous précèdent, le planétarium, l’aquarium et le Field Museum. L’association prétend lutter pour la protection de l’environnement. Or notre projet consiste précisément à créer un espace vert durable… à la place d’un parking, qui plus est.

Quelles sont les prochaines étapes ?
Former une équipe. Croyez-le ou non, nous ne sommes que deux pour le moment, mon assistante et moi-même. Les travaux devraient commencer dès le printemps prochain. Ainsi, le musée pourrait ouvrir ses portes en 2019.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°441 du 18 septembre 2015, avec le titre suivant : Don Bacigalupi : « Il s’agit d’ouvrir le monde de l’art aux films ou à la BD »

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