Rétrospective

Marius Borgeaud, peintre sur le tard

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 1 septembre 2015 - 604 mots

La Fondation de l’Hermitage retrace toute la carrière d’un enfant du pays et contemporain de Félix Valotton auquel il n’a cessé d’être comparé.

LAUSANNE (SUISSE) - La rétrospective que la Fondation de l’Hermitage consacre à Marius Borgeaud (1861-1924) offre une opportunité rare : celle de suivre  pas à pas l’éclosion d’un artiste qui a fini par trouver son style à l’âge de  50 ans. En 2001, l’exposition proposée par la Fondation Pierre Gianadda ne s’attardait pas autant sur les tâtonnements de l’artiste lausannois tombé dans la peinture au terme d’un étonnant enchaînement d’événements. Enfant de la grande bourgeoisie, il fait ses premiers pas dans la vie active en qualité d’apprenti banquier à Marseille, avant de se muer en jeune héritier trentenaire jouissant de la vie parisienne en dilapidant la fortune paternelle. La quarantaine survenue, après une cure sur le lac de Constance et une mise sous tutelle, Marius Borgeaud retrouve ses pinceaux auparavant utilisés en dilettante et se lance. Cette arrivée tardive dans le cercle des professionnels explique ses errances à un âge où la maturité picturale est habituellement atteinte.

S’affranchir de ses maîtres
Ainsi les premières toiles de la décennie 1900, paysages de l’Île-de-France et de Bretagne qui ouvrent le parcours, empruntent à l’impressionnisme de Sisley et Pissarro sa touche rapide et légère, sa luminosité, sa nature silencieuse et ses vastes ciels nuageux. Le commissaire Philippe Kaenel (auquel on doit également la brillante rétrospective Gustave Doré tenue à l’automne dernier au Musée d’Orsay) a choisi de les faire côtoyer les œuvres desdits Sisley et Pissarro pour gagner en contexte. Le résultat est sans appel : l’élève ne dépassera pas les maîtres. Dans les années 1910, Marius Borgeaud change de cap vers un style plus sobre et analytique, dépeignant  des intérieurs austères à peine effleurés par la vie, des natures mortes et des portraits. Mais là encore, en présence d’une poignée de magnétiques natures mortes de Félix Vallotton et du Douanier Rousseau, la comparaison désavantageuse guette. Borgeaud est cependant capable de trait de génie, à l’image de ces Pelotes de fils (1911), trésor d’économie de moyens et d’agencement des couleurs aux frontières de l’abstraction. Le succès qu’il obtient dans les grandes expositions et les galeries parisiennes témoigne de la bonne réception de ce revirement.

Lausannois, contemporains, proches sur le plan stylistique : l’histoire a voulu faire de Vallotton et Borgeaud des rivaux. Cousins éloignés, les deux peintres se côtoyaient. La succursale de la galerie Bernheim-Jeune à Lausanne, que tenait Paul Vallotton le frère de Félix, est d’ailleurs l’étrange théâtre d’une série de tableaux réalisée en 1914. Sur fond de tentures rouges rythmées par des tableaux impressionnistes et postimpressionnistes identifiables de-ci, de-là, le commerce de l’art s’apparente à un jeu, une comédie. Borgeaud élaborait depuis quelques années déjà ce penchant pour la mise en scène de la vie quotidienne. En Bretagne, où il réside en grande partie, les personnages s’apparentent à des mannequins disposés dans différentes maisons de poupées – la pharmacie, la mairie ou encore l’auberge de Rochefort-en-Terre (Morbihan). Le travail de recherches approfondies de l’Association des amis de Marius Borgeaud, complété par les prêts conséquents concédés par le Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne, a permis à la Fondation de l’Hermitage d’offrir un accrochage dense et bien découpé, à la fin duquel la maturité des toiles tardives est parfaitement mise en valeur. Points de rencontre entre cadrage photographique et atmosphère onirique, ces derniers tableaux ne souffrent d’aucune comparaison. Il aura fallu une vingtaine d’années pour que Marius Borgeaud trouve sa voie.

Marius Borgeaud

Commissaire : Philippe Kaenel, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université de Lausanne
Nombre d’œuvres : 113 dont 97 tableaux de Borgeaud

Marius Borgeaud, jusqu’au 25 octobre, Fondation de l’Hermitage, 2, route du Signal, Lausanne (Suisse), tél. 41 21 320 20 01, www.fondation-hermitage.ch, tlj sauf lundi (sauf le 21 septembre) 10h-18, le jeudi 10h-21h, entrée 18 CHF (env. 16,50 €). Catalogue, coéd. Fondation de l’Hermitage/Bibliothèque des Arts (Lausanne), 208 p., 48 CHF (env. 44,30 €).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°440 du 4 septembre 2015, avec le titre suivant : Marius Borgeaud, peintre sur le tard

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