Histoire

Amériques

La tragédie du royaume perdu des Incas

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 1 septembre 2015 - 699 mots

Réunissant quelque 120 pièces et documents rares, le Musée du quai Branly retrace la conquête du Pérou et la fin de l’empire inca à partir du faux duel qui opposa Pizarro à Atahualpa.

PARIS - Comment raconter la conquête du Pérou et la chute de l’empire Inca et de son souverain sans sombrer dans l’hagiographie ou la propagande ? La plupart des récits immortalisant la célèbre bataille qui opposa, le 16 novembre 1532, les troupes conduites par le conquistador Francisco Pizarro et Atahualpa, l’homme qui régna sur le plus grand empire des Andes, ont nourri tout un imaginaire et inspiré des scénarios dignes des plus grandes tragédies shakespeariennes.

Deux destins
Face à face, dans le décor grandiose des hautes terres andines, le « bâtard de Trujillo » assoiffé de conquêtes militaires, de fortune et d’ascension sociale, et de l’autre, un monarque inca, médiateur entre les mondes sacré et profane, régulateur de la bonne marche cosmique de l’univers et des relations entre Cuzco, sa capitale, et ses différentes régions assujetties. On ne pouvait rêver choc plus frontal, sur fond d’incompréhension réciproque et de malentendus. Imaginons ainsi Atahualpa se rendant à Cajamarca à l’invitation de Pizarro dans toute la magnificence due à son statut et à son rang, accompagné d’une suite de plusieurs milliers de sujets, porté assis sur une litière ornée de plumes, d’or et d’argent. Se présentant dans une attitude de paix et de médiation, le souverain inca ne peut imaginer une seule seconde qu’il est, en fait, attiré dans un piège grossier.

La bataille de Cajamarca
Dans la version espagnole des faits (les chroniques sont le plus souvent rédigées par les vainqueurs !), le prêtre dominicain Vicente de Valverde va à la rencontre d’Atahualpa, une Bible à la main. L’intention de Pizarro est claire : exiger du souverain inca sa soumission au roi d’Espagne et à la foi chrétienne. Furieux, Atahualpa jette à terre le livre saint, ce qui fournit à Pizarro et à ses hommes le prétexte fallacieux de prendre aussitôt les armes. Aux cris de « Santiago », les soldats espagnols vont alors faire vaciller en quelques instants l’un des plus puissants empires que l’Amérique du Sud ait vu naître sur son sol. Atahualpa est renversé violemment de son lit d’apparat et fait aussitôt prisonnier. Ses guerriers  sont massacrés, sous les yeux teintés d’horreur et d’incompréhension des sujets et dignitaires incas. L’inconcevable s’est produit : Atahualpa, « l’homme-dieu » a été traité comme une vulgaire créature terrestre. Sa captivité et sa mort n’en seront pas moins romanesques.

L’héritage inca
S’il demeure froid et distant avec ses sujets incas (un voile le sépare de ses interlocuteurs), il se montre en revanche un compagnon amical et enjoué avec les Espagnols, allant jusqu’à offrir sa propre sœur à Francisco Pizarro ! Un épisode va alors nourrir tous les fantasmes, et inspirer les artistes pour de longs siècles : la fameuse rançon d’Atahualpa. En échange de sa liberté, l’empereur inca a promis de faire remplir d’or une pièce du palais de Cajamarca, et deux autres d’argent. Pizarro ajoute de son côté une clause : le trésor devra être distribué aux seuls membres de l’expédition ayant conduit à la capture de l’Inca. On connaît la suite… À peine la rançon acquittée, Atahulpa sera condamné à mort pour trahison et exécuté devant ses sujets, abîmés dans le désespoir. La conquête effective de l’Empire inca peut s’achever, et, avec elle, son cortège d’actions militaires et de spoliations.

Confrontant artefacts incas (statues en argent de dignitaires reconnaissables à leurs lobes d’oreilles déformés, tuniques de jeunes guerriers dont le décor figure des têtes et des bras coupés stylisés), peintures espagnoles et savoureux portraits de l’école de Cuzco, l’exposition du Quai Branly propose une relecture passionnante de cette page d’histoire qui continue à féconder l’identité collective et métissée du Pérou. Parmi les pépites rassemblées par la commissaire, on retiendra cet immense tableau aux vertus de propagande, célébrant les noces de jeunes aristocrates espagnols avec de belles princesses incas : soit l’émergence d’une société en devenir, sous le regard bienveillant de la Compagnie de Jésus…

Inca

Commissariat : Paz Nuñez-Regueiro, responsable des collections américaines au Musée du quai Branly
Nombre d’œuvres : 120
Scénographie : Marc Vallet

L’Inca et le Conquistador, jusqu’au 20 septembre 2015, Musée du quai Branly, Mezzanine est, 75007 Paris, www.quai branly.fr. Catalogue coéd. Actes Sud/Musée du quai Branly, 244 pages, 35 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°440 du 4 septembre 2015, avec le titre suivant : La tragédie du royaume perdu des Incas

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