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Sylvain Bellenger : « La réforme voulue par Matteo Renzi est courageuse »

Futur directeur du Musée Capodimonte, à Naples

Par Colin Lemoine · Le Journal des Arts

Le 1 septembre 2015 - 982 mots

ROME / ITALIE

Directeur du département des peintures et sculptures du Moyen Âge à l’Époque moderne à l’Art Institute de Chicago, Sylvain Bellenger, 60 ans, vient d’être nommé directeur du Musée Capodimonte, à Naples.

Sylvain Bellenger. © ArtIC, Chicago.
Sylvain Bellenger.
© ArtIC, Chicago.

Cette intronisation s’inscrit dans le cadre de la réforme de l’administration culturelle italienne dont l’appel international à candidatures (lire p. 9), qui concernait vingt institutions majeures, a vu triompher sept étrangers. Une révolution.

Après vos expériences américaines à Washington, Cleveland puis Chicago, il vous revient de diriger un musée italien dont le prestige le dispute à l’érosion. Quel constat dressez-vous de la situation ?
C’est une très grande collection européenne qui cherche son public. La fréquentation est très inférieure à ce qu’elle devrait être, eu égard à son extrême richesse. C’est un musée qui est très difficilement accessible, ce qui est d’autant plus regrettable que le port de Naples accueille quotidiennement quelque six mille visiteurs en partance pour les îles du golfe, sans que nulle passerelle n’ait été réellement imaginée pour les accompagner vers les hauts de Capodimonte. La communication est donc un maître mot et l’information est à réinventer. Il faut propulser vers le XXIe siècle les musées napolitains, et italiens d’une manière générale, en les dotant d’outils performants. La tache n’est pas mince, assurément. Et c’est ce qui la rend passionnante.

Quelles seront vos premières mesures afin de redonner un lustre à ce vaisseau amiral de la flotte culturelle italienne ?
La première chose est de comprendre. Comprendre, et être à la hauteur de l’héritage de Raffaello Causa (décédé en 1923) et Nicola Spinosa (né en 1943), ces deux immenses directeurs qui surent doctement réunir dans ce pavillon de chasse des Bourbons des collections auparavant éparpillées dans toute la ville. Une deuxième chose est de rencontrer tous mes collègues de Capodimonte afin d’entendre leurs problèmes, de recueillir leurs suggestions et d’impulser des idées nouvelles, et efficaces. Le troisième défi est de partager, puisque si l’accès physique est compliqué à Capodimonte, l’accès intellectuel ne l’est pas moins. Rares furent les efforts pour aider à approcher cette collection diablement prodigieuse qui doit trouver sa place sur la carte du monde. Il conviendra d’envisager un déploiement pédagogique à destination de tous les publics, et notamment grâce au concours des écoles, et d’élaborer une politique de prêts ambitieuse et étincelante. Par ailleurs, j’ai l’intention de créer un conseil d’experts italiens et internationaux qui sera consulté, afin de dresser annuellement un bilan de la stratégie du musée. De même, sans doute faudra-t-il également créer un équivalent italien de Frame (French Regional and American Museum Exchange) afin de mutualiser les énergies, les talents et les projets.

La présente réforme partage l’Italie entre ses promoteurs, qui y voient une reprise en main de la culture par le gouvernement Renzi, et ses détracteurs, qui y décèlent un désengagement de l’État. Comment la jugez-vous ?
Cette réforme voulue par Matteo Renzi, et significativement passée sous silence en France, est animée par un courage substantiel. Un courage dont l’inspiration est française, que l’on veuille songer à l’audace et a l’opiniâtreté de Jack Lang, lequel a su imaginer des  établissements culturels avec une autonomie de gestion.Il m’a toujours semblé que l’Europe ne pouvait se faire sans une unité patrimoniale, et ce en dépit des résistances cocardières qui émaillent le continent. Quel problème à accueillir un conservateur étranger à Paris ou un autre allemand à Londres, pourvu que les compétences justifient leur position ? Et voici que l’Italie, dont le langage administratif est frappé d’obsolescence – les correspondances officielles ont encore le ton du XVIIIe siècle –, s’ouvre non seulement à l’Europe mais aussi au monde, et prouve une nouvelle fois sa capacité à prendre des mesures avant-gardistes. Partant, comment une telle transformation n’impliquerait-elle pas des contestations et des réserves ? Mais songez juste à ce symbole : les vingt nouveaux directeurs ont décidé spontanément de se réunir à Rome afin d’échanger scientifiquement et, plus prosaïquement, de former une équipe traversée par des enjeux partagés et des désirs communs. Avouez qu’à l’heure actuelle, ce n’est pas rien…

Forte de votre connaissance éprouvée des États-Unis, comment caractériseriez-vous les différences entre les musées américains et français?
La principale différence est culturelle. Les musées américains sont privés mais, comme vous le savez, la mission publique est assurée, précisément, par le privé, et notamment par les trustees (administrateurs) qui assurent le financement des institutions grâce à des dispositions fiscales considérables et à un enracinement philanthropique difficilement exportable. Pour avoir des ressources, ainsi que l’ont compris les musées du Louvre et d’Orsay, il faut élaborer des structures spécifiques. Aux États-Unis, chaque moment du métier identifié et réservé à une, voire plusieurs personnes, ce qui garantit de l’efficacité et du dynamisme. Par ailleurs, il existe une humilité et une générosité américaines qui tient compte de tout visiteur ne sachant pas nécessairement qui sont les Farnèse ou les Bourbon, ce qui implique un effort didactique de premier ordre. Ces différents constats, à n’en pas douter, me seront éminemment profitables lors de ma prise de fonctions napolitaine, le 16 novembre…

À vous écouter, Naples semble être un tropisme au goût particulier ?
J’ai vécu deux ans à Naples et j’y retourne depuis vingt ans. C’est à Capodimonte que je suis tombé amoureux de la peinture et que j’ai renoncé à la philosophie. Je sais qu’habiter cette ville est plus qu’un plaisir ou un honneur, c’est un destin. Songez que je suis en train de diriger un livre sur une immense crèche napolitaine que j’ai achetée pour l’Art Institute en 2012 et que mon grand ami Riccardo Muti, dont je pense solliciter les talents de promoteur, est né aux pieds du Vésuve, comme de nombreux protagonistes de la culture aux États-Unis. Certes, ma position à l’Art Institute – le deuxième plus grand musée américain –, était enviable, voire confortable, je n’en demeure pas moins désireux d’essayer de redonner à Naples un peu de ce qu’elle mérite : un orgueil patrimonial.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°440 du 4 septembre 2015, avec le titre suivant : Sylvain Bellenger : « La réforme voulue par Matteo Renzi est courageuse »

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