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Hervé Lemoine, directeur des Archives de France

Le droit de revendication d’archives publiques par l’État

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2015 - 918 mots

À la suite de l’article d’Éric Tariant, « Le torchon brûle entre les Archives et le marché », publié dans le JdA no 436 (22 mai 2015), nous avons reçu le courrier suivant du directeur des Archives de France.

La pratique des revendications d’archives publiques par l’État n’est pas une nouveauté. Déjà sous l’Ancien Régime, les papiers de fonctions des serviteurs de l’État pouvaient être saisis sur ordre du roi ou de ses ministres. La racine juridique du caractère inaliénable des archives publiques (comme de l’ensemble des biens culturels du domaine public mobilier) remonte à l’ordonnance de Moulins de 1566 qui affirmait l’inaliénabilité du domaine royal et des biens des princes qui y étaient incorporés. Puis, dès 1790, la Révolution distingua le domaine de la Couronne, affecté à l’usage personnel des princes, du domaine national, dont l’inaliénabilité était à nouveau affirmée.

L’article du code du patrimoine décrivant la nature des archives publiques à L. 211-4 a clarifié leur définition mais ne l’a pas créée : elle précise qu’un document doit procéder de l’activité de l’État (ou des collectivités ou de tout organisme public) dans le cadre de leur mission de service public, ou d’une personne de droit de privé chargée d’une telle mission. Cet article cite également les minutes des officiers publics et ministériels comme des archives publiques.

Il est connu que Napoléon a pu écrire, sous le Directoire, des lettres totalement privées sur du papier à en-tête de l’armée d’Italie : comme général, il était une personne publique adressant des courriers publics à d’autres officiers, aux ministres, mais il s’adressait à titre privé à Joséphine et n’était pas chargé d’une mission de service public dans cette démarche. Un document sera identifiable comme public par son émetteur, son destinataire, sa date et son contenu et non pas par sa forme seule. C’est pourquoi l’article L. 211-4 ne précise pas l’aspect que doit prendre un document public car il n’est pas suffisant : il peut donc s’agir d’un brouillon, d’une copie, d’un registre, d’un état définitif, d’un état au propre, etc.

L’article L. 211-4 du code du patrimoine n’est pas spécialement tourné vers le marché de l’autographe et des manuscrits. Il sert dans bien d’autres situations. C’est un atout pour l’exercice de la démocratie et de la transparence administrative, permettant à l’État et aux collectivités d’obtenir des versements d’archives publiques de la part des administrations, des fonctionnaires et des opérateurs de l’État dans un but de bonne gestion administrative et dans une perspective de recherche historique. La France a la chance d’avoir une loi protectrice de son patrimoine, qui dispose que les archives publiques sont inaliénables et imprescriptibles. Elles sont aussi des « trésors nationaux » et sont de ce fait non exportables. La particularité des archives publiques est d’être nées comme telles même si elles ne sont jamais entrées dans les collections publiques. Une jurisprudence constante en témoigne. Par exemple, les archives de l’administration d’un district sous la Révolution peuvent n’avoir jamais été versées aux archives départementales et demeurent toujours publiques et susceptibles d’être revendiquées, y compris si elles sont restées dans le grenier d’un ancien administrateur.
La plupart des professionnels du marché de l’art à qui sont revendiqués des documents en comprennent les raisons et restituent de manière spontanée les documents concernés. En effet, la pratique constante est de n’intervenir que si l’on est certain du caractère public du document. Au demeurant, le ministère de la Culture et de la Communication ne procède qu’à fort peu de revendications, vingt en moyenne par an, sur toute la France, ce qui correspond à moins de 0,01 % du volume des documents proposés en vente publique. Et très peu de contentieux naissent de ces revendications.

Le dédommagement n’est pas de droit en matière de revendication de biens publics par l’État : si des restaurations ont été apportées au document, des dépenses d’entretien que l’on peut justifier, le dédommagement de ces frais est possible. Mais pour la bonne gestion des deniers publics, l’État n’a pas à racheter ce dont il est propriétaire. C’est une règle de droit et non un moyen pour acquérir à titre onéreux les documents qui intéressent l’État, comme certains semblent le croire.

Ce n’est pas le droit de revendication qui est arbitraire et abusif, ni sa pratique, c’est le non-respect de l’ensemble des règles du code du commerce et du code du patrimoine qui entraîne l’insécurité dont se plaignent certains marchands et opérateurs de ventes volontaires : on constate que des opérateurs ne s’astreignent même plus à transmettre à l’État les catalogues de vente dans les quinze jours comme c’est la règle (art. L. 123-1). On constate aussi que, lors de demandes de retrait de lots publics, des opérateurs, très minoritaires fort heureusement, vendent ce que l’État revendique, en parfait mépris de la loi et de leurs clients qui, dès lors, détiennent des archives publiques « sans droit ni titre » et sont passibles d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende (article L. 214-5 du code du patrimoine).

Le Service interministériel des Archives de France a toujours été ouvert au dialogue avec les marchands et les opérateurs, et comme il l’a toujours fait, se propose de les rencontrer à nouveau, avec le Conseil des ventes volontaires, pour la rédaction d’un vade-mecum pédagogique sur les archives publiques à destination du marché. Ce n’est que par l’échange, la discussion et la confiance mutuelle que notre patrimoine écrit sera préservé et les droits des particuliers comme des citoyens, respectés.
 

Hervé Lemoine, directeur des Archives de France

 

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Le bâtiment des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine a ouvert ses portes au public le 21 janvier 2013. © Photo Bruno Galland - 2012 - Licence CC BY-SA 3.0

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : Le droit de revendication d’archives publiques par l’État

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