Moyen Âge

Paris-Toscane

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2015 - 631 mots

Le Louvre-Lens trace les contours d’un transfert artistique entre la France et l’Italie aux XIIIe et XIVe siècles. Une démonstration formaliste un peu aride.

LENS (PAS-DE-CALAIS) - Des plis de tissus en arc de cercle tombent avec souplesse le long du corps légèrement cambré d’une Vierge à l’Enfant. Ce moulage daté du XIXe siècle évoque la seule œuvre du trumeau médiéval, sculptée par Jean de Chelles, encore en place sur la façade de Notre-Dame de Paris. Plus loin, une Vierge pleurante réalisée par une main italienne anonyme est figée dans une attitude hiératique. Nous sommes aux alentours de 1250, borne chronologique du début de l’exposition du Louvre-Lens. Sous le titre « D’or et d’ivoire », celle-ci entend décrire les transferts artistiques qui eurent lieu entre la capitale française et la Toscane, en particulier dans la sculpture et les arts décoratifs, à la croisée du XIIIe et du XIVe siècle.

Si, au milieu du XIIIe siècle, les cités toscanes creusent encore le sillon de la sculpture romane de la fin du siècle précédent, Paris voit l’apogée d’un style gothique rayonnant où les œuvres s’animent et témoignent d’une observation de la nature de plus en plus fine. C’est l’époque des grands chantiers tels ceux de la Sainte-Chapelle de l’île de la Cité ou de la chapelle de la Vierge Sainte-Germain-des-Prés. Emmenés par Nicola Pisano, les artistes toscans de trois générations (Giovanni Pisano, Arnolfo di Cambio, Tino di Camaino…) vont être influencés par les artistes de la cour parisienne. « Il ne s’agit presque jamais de copies littérales mais bien d’inspirations formelles explicites dans les systèmes de drapés, la corporéité des personnages ou les iconographies », expliquent les commissaires Xavier Dectot, directeur du Louvre-Lens, et Marie-Lys Marguerite, directrice des musées de Saint-Omer, dans l’avant-propos du catalogue. Ainsi l’exposition met-elle en regard les œuvres parisiennes qui ont pu inspirer les créations italiennes. Le groupe de Saint Paul, saint Pierre et saint Jacques émanant de l’atelier Nicola Pisano (vers 1270, Victoria and Albert Museum, Londres) présente par exemple les mêmes drapés aux plis en cuvette pointus que ceux qui se déploient sur une Vierge en trône en ivoire venant du Musée de Cluny (vers 1240-1350). Ce sont également les plis à bec de la statuaire parisienne du début du XIVe siècle que reprend Giovanni Pisano (fils de Nicola) dans sa Vierge à l’Enfant qui ornait la façade de Santa Maria della Spina (vers 1315, Museo nazionale di Santa Matteo, Pise). S’il est « improbable qu’un Nicola Pisano accaparé par ses chantiers italiens ait fait le voyage à Paris », selon Xavier Dercot, il est attesté que des œuvres de petit format (manuscrits, émaux, ivoires…) circulaient aisément de la France à l’Italie, vraisembablement par l’entremise marchands toscans établis à Paris.

Pas de contextualisation
Ce transfert artistique d’une ère géographique à l’autre est peut-être la démonstration la plus ardue qu’ait effectuée jusqu’ici le Louvre-Lens dans ses expositions temporaires. Les œuvres n’étant pas reliées entre elles par des influences réellement documentées, le visiteur doit se laisser convaincre par la présentation d’un langage stylistique commun entre Paris et  la Toscane, tandis que la mauvaise conservation des œuvres ne permet pas toujours d’en observer les subtilités. Le parcours pourra sembler aride, car, si la manifestation a le mérite d’expliquer les détails techniques avec pédagogie, elle fait l’impasse sur toute contextualisation intellectuelle, religieuse ou sociale au profit du seul formalisme. Et si le corpus d’œuvres rassemblé est impressionnant (grâce des prêts provenant de France, d’Italie, d’Angleterre, de Belgique et d’Allemagne),  la scénographie, réfrigérante, ne les met malheureusement pas en valeur. Les œuvres perdent de leur pouvoir évocateur dans une salle aux airs de gigantesque hangar, un cadre peu propice à l’émotion esthétique.

D’OR ET D’IVOIRE

Commissaire : Xavier Dercot, directeur du Louvre-Lens ; Marie-Lys Marguerite, directrice des musées de Saint-Omer
Nombre d’œuvres : 125

D’or et d’ivoire, Paris, Pise, Florence, Sienne. 1250-1320

Jusqu’au 28 septembre, Musée du Louvre-Lens, 99, rue Paul-Bert, 62300 Lens, tél. 03 21 18 62 62, www.louvrelens.fr, tlj sauf mardi 10h-18h, entrée 9 €. Catalogue, coéd. Louvre-Lens/Éditions Snoeck, 320 p., 39 €.

Légende photo
Atelier de Nicola Pisano, Groupe de trois apôtres, Pise, vers 1270, marbre, Victoria and Albert Musem, Londres. © Victoria and Albert Museum.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : Paris-Toscane

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