Livre

Monographie

Raynaud par Raynaud

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 16 juin 2015 - 514 mots

L’artiste commente lui-même les œuvres clés qui jalonnent sa carrière.

RAYNAUD-AUTOPORTRAIT, éditions du Regard, 320 p., 80 € ou 18 € (selon le format).
RAYNAUD-AUTOPORTRAIT, éditions du Regard, 320 p., 80 € ou 18 € (selon le format).

Le titre Raynaud-Autoportrait pourrait étonner. Cependant, cette façon de nommer le livre dévoile immédiatement une volonté de la part de l’artiste de tout contrôler, aussi bien son œuvre que sa propre image. Ainsi, en écrivant son autobiographie, Jean-Pierre Raynaud n’est pas seulement l’acteur principal, mais aussi le spectateur privilégié qui pose un regard distancié sur lui-même.
Quel est le statut exact de ce livre impressionnant, dont la couverture rouge, sur laquelle se détache en blanc le nom de l’artiste, évoque immédiatement un de ses psycho-objets : le panneau routier de sens interdit ? Un autoportrait, une autobiographie ? Sans doute. Mais également un livre d’artiste, tant les soins accordés à chaque détail se vérifient à chaque page. Annoncé comme « livre-exposition où le commissaire-auteur ne serait autre que l’artiste lui-même » et comme « une plongée dans l’univers visuel et mental » de Raynaud, l’essentiel de l’ouvrage se présente sous une forme d’écriture particulière. Ce sont des pensées concises, pratiquement des aphorismes, qui s’intercalent entre les reproductions des travaux de l’artiste. Sans qu’on puisse parler véritablement de narration chronologique, ces phrases qui apparaissent tout au long de l’ouvrage forment un tissage entre des bribes de vie et des réflexions esthétiques. Raynaud, en effet, fait partie de ces créateurs qui semblent n’établir aucune séparation entre leur œuvre et leur existence. « La plus belle culture que j’ai pratiquée, c’est la culture de mes névroses » : en l’écoutant on songe à Freud qui, parlant justement des névroses, affirme qu’il s’agit « de petites pratiques, petites adjonctions, petites restrictions, qui sont accomplies, lors de certaines actions de la vie quotidienne, d’une manière toujours semblable ou modifiée selon une loi ». Définition rêvée pour un artiste qui déclare : « Autrefois, j’ai eu peur d’être enfermé dans mon projet, aujourd’hui je me méfie aussi d’être enfermé dans la liberté ».

« Habiter » son œuvre
Dans l’autre partie de l’ouvrage, Raynaud décrit un projet architectural, sa maison à la Celle-Saint-Cloud qu’il habita littéralement pendant vingt-quatre ans. L’histoire est connue, l’artiste se construit une maison qui, outre sa fonction d’habitat, devient emblématique de sa production plastique. Ce qui est frappant ici, c’est la lente évolution du rapport entre le créateur et sa créature, où la demeure semble se transformer lentement en un être vivant avec lequel Raynaud entretient un dialogue constant. Dialogue qui tourne à l’affrontement ; dans un geste iconoclaste, il anticipe sa destruction (1993). Acte de violence, violence qui détonne avec l’image d’un univers artistique qu’on dit froid, voire autiste.

Peut-être, est-ce justement le mérite de ce livre que de permettre à Raynaud de montrer au lecteur le grain de folie qu’il cultive quand il écrit : « Je deviens fou, au sens stimulant de ce terme. » Certes, sauf que, la création et la folie forment un couple ambigu : un rien les sépare et tout les oppose. L’artiste, Raynaud ou un autre, vérifie bien avant de s’embarquer sur un bateau ivre qu’il possède son billet de retour. Le fou, lui, n’a pas ce luxe.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°438 du 19 juin 2015, avec le titre suivant : Raynaud par Raynaud

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