Portrait

Quand l’histoire de l’art s’ouvre au monde

Le Journal des Arts

Le 16 juin 2015 - 629 mots

Avec la même ardeur qu’il a présenté sa thèse à Paris, Malick Ndiaye devenu historien de l’art et conservateur à Dakar, se lance le defi de réinventer les musées en Afrique.

En 2004, l’Institut national d’histoire de l’art accueille Malick Ndiaye, jeune et enthousiaste boursier sénégalais de 26 ans, au sein de son programme de recherche « Art et Mondialisation ». En 2012, Malick est recruté en qualité de post-doctorant par le Laboratoire d’excellence Création, Arts et Patrimoines (Labex CAP) de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (HéSam). Durant ces années, sa vocation s’affirme : contribuer à écrire une « histoire de l’art élargie » et agir pour « réinventer » les musées en Afrique. Plus de centre, plus de périphérie. Des patrimoines articulés aux expressions contemporaines, des interconnexions dans le temps, dans l’espace et entre les savoirs.
Malick va s’intéresser aux études coloniales et, avec sa thèse (1), étudier « l’interaction des pratiques artistiques avec les théories postcoloniales » ainsi que le statut de l’objet dans « l’art global ». La Bouche du Roi de l’artiste béninois Romuald Hazoumé, présentée en 2006 au Musée du quai Branly, fera référence. Hommage aux vingt millions d’hommes et de femmes transportés à fond de cale à travers l’Atlantique « en aller simple pour le tombeau (2) », l’installation trace la structure d’un bateau négrier au moyen de 304 masques faits de bidons d’essence, symbolisant les esclaves. Cauris, tabac et verroterie rappellent les monnaies d’échange de l’époque. C’est sur cette œuvre que Malick s’appuiera pour orienter ensuite ses travaux de post-doctorant vers les patrimoines de la traite et de l’esclavage – armes, instruments de torture, objets du quotidien – et analyser la complexité de leur présentation dans les musées de France (3).

Chercheur et conservateur
Exerçant une fonction d’agent d’accueil et de surveillance au Centre Pompidou entre 2007 et 2010  en parallèle à ses recherches doctorales, Malick comprend que le musée peut lui offrir « l’espace de croisement entre création et patrimoine » qu’il recherche. Il prolonge sa formation à l’Institut national du patrimoine, où il obtient le diplôme international d’études en conservation du patrimoine. Problématiques juridiques et économiques, de la conservation et de la restauration du patrimoine, enrichissent sa vision. Bientôt, Malick ressent l’envie du retour. Le « pays bouge ». Artistes, galeristes, commissaires d’exposition donnent un nouvel éclat à la scène culturelle sénégalaise.
Malick Ndiaye, dont le père, transporteur, considérait que les « musées n’étaient faits que pour les touristes », est aujourd’hui historien de l’art, chercheur en arts visuels et conservateur au Musée d’art africain Théodore Monod à Dakar dans ce bâtiment qui, autrefois, avait abrité l’administration générale de l’Afrique occidentale française. Enseignant depuis 2014 au sein des universités de Dakar et de Saint-Louis, il s’emploie aussi à transmettre ce qu’il a appris des institutions françaises.
Pour le Sénégal, les défis sont de taille. La Biennale d’art contemporain de Dakar doit se réformer, le patrimoine historique est en déshérence, les musées, dépourvus de moyens et de personnels qualifiés, sont, selon Malick, « très malades ». Le nouveau Musée des civilisations noires, que le président-poète Léopold Sédar Senghor appelait déjà de ses vœux à l’issue du premier « Festival mondial des arts nègres » en 1966, financé comme le Grand théâtre national par le gouvernement chinois, ouvrira ses portes l’année prochaine. Mais Malick Ndiaye n’est pas inquiet. Pour lui, « les relations humaines sont un combat pour le sens » (4).


Geneviève Gallot
 
Notes

(1) Malick Ndiaye, Arts contemporains africains et enjeux du débat critique postcolonial : cartographies artistiques et discursives entre Paris et Dakar (1966-2006), Université Rennes 2 (2011).
(2) Joan Wils, La Ballade du Négrier, (1686)
(3) Centre de recherche sur les arts et le langage, UMR CNRS-EHESS (recherche 2012).
(4) Malick Ndiaye in Réinventer les musées, Africultures, n° 70 (2007)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°438 du 19 juin 2015, avec le titre suivant : Quand l’histoire de l’art s’ouvre au monde

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