Psychologie

Biographies artistique et politique

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 16 juin 2015 - 695 mots

En offrant une suite à sa proposition madrilène, Jean-François Chevrier donne aux empreintes laissées par l’histoire d’une vie dans une œuvre d’art un tour plus politique.

NÎMES - Il s’agit d’une suite plus que d’une reprise. En accueillant l’exposition « Formes biographiques » pensée par Jean-François Chevrier, le Carré d’art-Musée d’art contemporain de Nîmes ne fait pas que reprendre ou réadapter la manifestation qui s’était tenue l’an dernier à Madrid, au Museo nacional centro de arte Reina Sofía. L’échelle en premier lieu n’est pas la même, du fait de la surface bien moindre des espaces d’exposition, ce qui réduit le nombre d’œuvres et d’artistes ; si ces derniers sont moitié moins nombreux, les œuvres sont ici au nombre de 70 lorsque la manifestation madrilène, fleuve il est vrai, n’en regroupait pas loin de 300. Mais ces considérations d’intendance mises à part, c’est bien un autre volet de cette manifestation qui est donné à voir, bien plus contemporain, et surtout avec un discours adoptant des propos plus largement portés vers des considérations d’ordre politique.

Là où la proposition de Jean-François Chevrier se montre aussi remarquablement articulée, c’est qu’il parvient à intégrer dans le flux du discours de jeunes artistes qui ont été ses élèves à l’École des beaux-arts de Paris, telles Madeleine Bernardin Sabri ou Claire Tenu, qui se fondent là parfaitement dans l’ensemble, même lorsque confrontées à des pointures de l’art contemporain.

Construction de l’identité de l’artiste
Bien entendu le fond de la réflexion reste le même : comment interviennent – ou interfèrent – des éléments biographiques dans la constitution de l’œuvre d’art, mais aussi comment est-ce que chercher des moyens de se détourner ou de s’échapper de sa propre biographie peut nourrir les artistes. Les exemples de Marcel Broodthaers et David Lamelas sont alors édifiants. Alors que le premier s’amuse à sciemment orthographier son nom avec des fautes, sur des catalogues ou sur la liste des éditions lithographiques d’une galerie bruxelloise, le second, dans une amusante série de photos en noir et blanc, s’invente une vie de rock star s’agitant sur scène (Rock Star (Character Appropriation), 1974).

Le sujet se présente alors sous un jour ambigu, tout comme cette œuvre de Martin Honert qui judicieusement a été choisie afin d’accompagner les supports de communication de l’exposition. Dans sa forme constitutive même, elle dit beaucoup de l’ambiguïté latente relative à ces questionnements. Intitulée Foto (1993), elle n’a pourtant rien d’une image plane dans sa constitution puisqu’étant un volume en bois et en résine peint, figurant un garçonnet au regard perdu assis derrière une table, mais un volume qui en entrant dans la salle saisit par sa planéité !

C’est sur des assemblages, ambigus eux aussi, d’éléments intégrant des données biographiques ou autobiographiques que se découvre l’une des plus belles salles du parcours rassemblant Thomas Schütte et Dieter Roth. Ainsi un alter ego du premier, déformé et parfois vêtu de tissus provenant de chutes de vêtement de l’artiste, est-il placé dans des situations quotidiennes, y compris celle de faire de l’art (Mohr’s Life, 1988-1999). Tandis qu’un buste de Roth réalisé en chocolat (P.O.TH.A.A.VFB, 1968-1970) lorgne vers un singulier catalogue : pour une exposition au MAC de Marseille en 1997, l’artiste s’était installé de longues semaines dans les salles afin de réaliser sa publication avec des collages de notes et de photos intégrant tout l’environnement d’alors et donc son ordinaire.

La deuxième moitié de l’exposition prend un tour franchement plus politique avec d’emblée une salle évoquant de front des problèmes de migrations et d’identités, dans laquelle converse un tableau de Sigmar Polke évoquant des réfugiés (Fugitifs, 1992) avec une série d’images de la photographe palestinienne Ahlam Shibli (Catastrophe, Refuge in Frost, International, 2002-2004). Radicale et violente est ensuite l’installation d’Henrik Olesen qui remet en cause les schémas et liens familiaux à travers des textes à charge sur la norme et des « portraits » dissociés de ses parents qui ne sont plus que des madriers de bois (M. Knife & Mrs. Fork, 2009). Ou comment pointer une nécessité de la construction de l’individu dans un cadre sociopolitique donné, si ce n’est imposé.

FORMES BIOGRAPHIQUES

Commissaire : Jean-François Chevrier, avec Elia Pijollet
Nombre d’artistes : 28
Nombre d’œuvres : 70

FORMES BIOGRAPHIQUES

Jusqu’au 20 septembre, Carré d’art-Musée d’art contemporain, Place de la Maison Carrée, 30000 Nîmes, tél. 04 66 76 35 70, carreartmusee.nimes.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, entrée 5 €. Catalogue 392 p., coéd. Hazan/Carré d’Art, 35 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°438 du 19 juin 2015, avec le titre suivant : Biographies artistique et politique

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