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Paroles d’artiste

Rirkrit Tiravanija : « L’interaction avec le public m’a toujours intéressé »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 16 juin 2015 - 747 mots

L'artiste thaïlandais Rirkrit Tiravanija a transformé la galerie Chantal Crousel en une évocation d'un célèbre bar de Manhattan.

La transformation est radicale. L’entrée de la galerie Chantal Crousel, à Paris, a été transformée en toilettes par Rirkrit Tiravanija : très précisément une copie de celles du CBGB, célèbre bar new-yorkais du Lower East Side qui a notamment vu défiler toute la scène punk américaine (Untitled (cul-de-sac), 2015). Lui répond une scène utilisable, qui au lieu de planches convoque le marbre (Run like Hell, 2015).

En réalisant une copie des toilettes de ce bar légendaire, s’agissait-il de vous avancer sur le terrain de la contre-culture ?
Je pense que le point de départ est toujours le ready-made. Mais peut-être s’agit-il d’un « contre-readymade » ? Ce motif était intéressant pour moi car il y a eu cette exposition sur la mode punk au Metropolitan Museum [« Punk : Chaos to Couture », 2013] où ces toilettes avaient été recréées. Le Metropolitan est très connu pour avoir ce genre de recréations d’espaces et j’ai trouvé intéressante cette idée de « transporter » un tel espace jusqu’au musée. Mais découvrant des images de ces toilettes dans les journaux, les gens qui connaissaient les originaux dans le bar ont trouvé que ce n’était pas vraiment à cela que ça ressemblait. Je travaillais déjà beaucoup avec ce genre de stratification, cette idée graffitis, de textes superposés, qui est pour moi plus un intérêt pour le situationnisme.

Avez-vous un intérêt particulier pour la contre-culture, le punk, cette période ? Ou s’agit-il plutôt de références pour vous ?
Ce sont plutôt des références qui pointent pour moi un peu l’idée de résistance. Car bien entendu tout cela a des significations, c’est donc plus comme des signes que je souhaite mettre en avant et utiliser afin d’élaborer de la résistance.

Ici les murs sont complètement propres, mais l’on peut y voir incrustées dans les murs les traces de certains graffitis, ce qui crée un changement radical entre ce que vous donnez à voir et la
réalité de l’endroit…

Bien sûr, c’est une sorte de recréation. J’étais plus intéressé par la surface et d’une certaine manière par la façon d’en faire un objet, de transformer ces toilettes complètes en objet. Je cherchais donc une façon de les reproduire de manière intégrée, afin qu’elles deviennent elles-mêmes leur propre objet. En testant certains matériaux, nous avons commencé à réaliser que certaines choses ne pouvaient apparaître telles quelles, puis j’ai pensé que finalement j’étais juste en train de créer une ombre des vraies toilettes. Ainsi cela devient d’une certaine manière une trace. Il y a donc cette question d’un véritable objet, mais aussi celle de l’image ; j’ai tenté de transformer un endroit en une image qui soit un véritable objet d’une certaine manière.

À propos du fait que l’installation soit fonctionnelle, vous avez toujours été intéressé par l’interaction avec le public. Est-ce ce même intérêt qui régit en partie cette œuvre ici ?
Oui je crois. J’ai toujours été très intéressé par les seuils que les individus doivent franchir afin de participer ; c’est leur décision d’entrer ou pas. Il y a cette question de la sensation d’avoir à le faire ou de l’avoir fait qui vous étreint, et il y a cette signification de violation. Je souhaite que cette œuvre appelle aussi cette question de seuils et mettre cet objet dans un lieu où chacun doit prendre une décision. Et les deux décisions peuvent provoquer quelque chose d’intéressant.

Depuis le milieu des années 1990, vous êtes associé à l’esthétique relationnelle. Croyez-vous que ce concept soit encore pertinent aujourd’hui ?
Je pense que c’est toujours pertinent en effet et que c’est toujours joué. Peut-être ce que c’était exactement n’était pas très clair à l’époque, mais maintenant cela devient presque comme une forme, peut-être un peu trop une forme d’ailleurs.

À propos de la seconde installation, n’est-ce pas contradictoire que quelque chose qui soit censé être en bois, plus ou moins fragile, soit ici exécuté en marbre ?
Je m’intéressais à cette contradiction : quelque chose qui est véritablement éphémère en termes d’attitude et très permanent en termes de matériaux, cela joue donc avec cela. J’ai évidemment voulu montrer cela en relation avec les toilettes. Il y a une sorte de possibilité que vous soyez allé aux toilettes et que vous ayez entendu quelqu’un jouer dans le fond, c’était donc une sorte de réponse. Je regarde le tout comme une seule chose, ce n’est pas vraiment une seconde installation.

RIRKRIT TIRAVANIJA. UNTITLED 2015 (RUN LIKE HELL)

Jusqu’au 18 juillet, galerie Chantal Crousel, 10, rue Charlot, 75003 Paris, tél. 01 42 77 38 87, www.crousel.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-13h/14h-19h.

Légende photo
Rirkrit Tiravanija, Untitled (cul-de-sac), 2015, détail, contreplaqué, poutres en bois, urinoirs, toilettes, résine modulée, laque transparente, 330 x 190 x 490 cm, vue d’exposition à la Galerie Chantal Crousel, Paris. Courtesy de l’artiste et Galerie Chantal Crousel, Paris. © Photo : Florian Kleinefenn.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°438 du 19 juin 2015, avec le titre suivant : Rirkrit Tiravanija : « L’interaction avec le public m’a toujours intéressé »

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