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Transport

Quand l’œuvre voyage

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 2 juin 2015 - 793 mots

La qualification du contrat de transport d’œuvres d’art, à titre principal ou à titre accessoire, module les conditions de la responsabilité et la personne du débiteur à poursuivre.

Alors que le contrat de transport implique une prestation dynamique, soit un déplacement de l’œuvre maîtrisé par le transporteur professionnel, le dépôt, quant à lui, est marqué par un caractère statique. Pour autant, les deux prestations ont parfois vocation à se cumuler au sein d’un même contrat, l’une pouvant succéder à l’autre. La figure la plus classique est celle du « contrat de transport à titre principal », auquel se greffe de manière accessoire un contrat de dépôt, figure correspondant à la mission donnée par une galerie à un transporteur spécialisé afin de permettre, par exemple, l’exposition de l’œuvre sur son stand à l’occasion d’une foire à l’international. Cependant, l’hypothèse inverse peut se présenter. Une galerie avait ainsi remis en dépôt à la Ville de Nice une œuvre de César. Mais, lors de la restitution de l’œuvre, celle-ci fut endommagée durant son transport. Le contrat de dépôt stipulait que le transport de l’œuvre était à la charge du dépositaire, la Ville de Nice, prolongeant donc son obligation de restitution jusqu’à la mise en possession de l’œuvre entre les mains de la galerie. Et non, comme il se doit habituellement, au moment de l’enlèvement par le transporteur, qui libère le dépositaire de son obligation et de sa responsabilité, faisant alors basculer la responsabilité du dépositaire sur la tête du transporteur. En l’espèce, la Cour de cassation a considéré, le 8 juillet 2014, que le déplacement de l’œuvre n’était que l’accessoire de son dépôt, disqualifiant alors l’application du régime du transport au profit de celui du « contrat de dépôt », qui implique tout à la fois une obligation de conservation et de restitution. Et la violation de ces deux obligations a entraîné une indemnisation à hauteur de plus de 220 000 euros au profit de la galerie.
Au contraire, aux termes de l’article L. 133-1 du Code de commerce, le transporteur, dénommé « voiturier », se révèle garant de la perte des objets et des avaries autres que celles qui proviennent « du vice propre de la chose ou de la force majeure ». Une présomption de responsabilité existe donc à l’égard du transporteur, lié à ce titre à l’expéditeur, à la différence du contrat de dépôt, qui implique la démonstration d’une faute pour l’obligation de conservation. Mais, lorsque le conditionnement de l’objet n’est pas réalisé par le transporteur, ce dernier peut voir sa responsabilité écartée, dès lors que la détérioration provient d’une cause interne à l’objet. À l’occasion du transport d’une œuvre de Philippe Pasqua intitulée Vanité, Tête aux papillons, celle-ci est parvenue fortement abîmée. Cependant, le rapport d’expertise notait que « la sculpture s’est accidentée du fait de l’absence de conditionnement approprié compte tenu de la fragilité de l’œuvre, qui s’est décollée à l’intérieur même de son présentoir ». Le tribunal de commerce de Nanterre a alors écarté, le 5 mars 2013, la responsabilité du transporteur, puisque la déficience du conditionnement de l’œuvre la prédisposait à « se détériorer par le seul fait de son déplacement, même effectué dans des conditions normales, et donc en raison de son vice propre ».

En sens inverse, le transporteur peut se voir confier le conditionnement de l’œuvre et être ainsi responsable des dégâts subis en raison d’un traitement de l’œuvre sans précaution ou d’un emballage inapproprié. C’est ainsi que la cour d’appel de Paris a, le 22 janvier 2013, retenu la responsabilité du transporteur dont l’un des employés n’avait pas apporté les soins nécessaires en vue du transport au Mexique d’une sculpture d’Yves Klein dénommée Vénus bleue (1962/1982). La survenance du dommage avait, selon la cour et le transporteur, pour cause exclusive le conditionnement défaillant. La contestation peut, en ce cas, porter sur le montant de l’indemnisation à verser. En l’occurrence, la vente initiale de l’œuvre pour 80 000 euros ayant été annulée, la sculpture fut restaurée avant d’être cédée de gré à gré à un autre acquéreur. La cour retint une valeur après restauration de l’œuvre de 20 000 euros, soit un différentiel de 60 000 euros, montant correspondant au préjudice subi par le vendeur auquel s’ajoutaient les frais d’expertise et les frais de restauration. Mais le contrat de transport prévoit des aménagements au profit du transporteur dans la mise en jeu de sa responsabilité. En effet, la réception des objets transportés éteint toute action contre le transporteur pour avarie ou perte partielle si, dans les trois jours qui suivent celui de cette réception, le destinataire n’a pas notifié au transporteur sa protestation motivée. Et toutes les autres actions sont prescrites dans un délai d’un an, délai bien plus favorable que celui du contrat de dépôt.

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Mise en camion d'un grand tableau © Photo Lamiot - 2014 - Licence CC BY-SA 4.0

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°437 du 5 juin 2015, avec le titre suivant : Quand l’œuvre voyage

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