Droit

CEDH

Liberté d’expression artistique et appropriation

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 2 juin 2015 - 493 mots

La Cour de cassation a cassé et annulé la condamnation de Peter Klasen pour contrefaçon.

PARIS - Si la Cour de cassation n’a consacré ni l’art de l’appropriation, ni la primauté de la liberté artistique sur les droits d’un auteur, le cadre d’analyse porté par sa décision est d’importance. Après avoir validé l’appréciation de la cour d’appel sur l’originalité des trois photographies d’Alix Malka réutilisées par Peter Klasen pour une vingtaine de toiles, la Cour a cassé et annulé l’arrêt d’appel du 18 septembre 2013 pour manque de base légale au regard de l’article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le premier paragraphe dudit article consacre la liberté d’expression, tandis que le deuxième précise qu’une telle liberté comporte des devoirs et des obligations. Parmi ceux-ci, le respect des droits d’autrui – ainsi des droits de propriété intellectuelle –, peut limiter cette liberté. La cour d’appel avait ainsi retenu que « l’exercice de la liberté d’expression artistique est cependant susceptible d’être limité pour protéger d’autres droits individuels et la reprise de visuels qu’un auteur entendrait contester à travers sa propre création ne saurait raisonnablement lui permettre d’occulter les droits de l’auteur de ces visuels ». Avant de conclure que « les droits sur des œuvres arguées de contrefaçon ne sauraient en effet, faute d’intérêt supérieur, l’emporter sur ceux des œuvres dont celles-ci sont dérivées, sauf à méconnaître le droit à la protection des droits d’autrui en matière de création artistique ».

Le juste équilibre
C’est ce raisonnement que la Cour de cassation vient de censurer en énonçant que la cour n’avait pas expliqué « de façon concrète en quoi la recherche d’un juste équilibre entre les droits en présence commandait la condamnation qu’elle prononçait ». Ainsi, la cour d’appel n’avait nullement opéré une détermination du juste équilibre fondant sa décision. Son analyse, purement théorique et formulée en affirmation générale, est insuffisante au regard des exigences européennes en la matière. Les œuvres dérivées d’œuvres originales et relevant de l’art de l’appropriation ne sont donc pas nécessairement des œuvres contrefaisantes. Une appréciation en fonction des spécificités de chaque espèce doit être menée. La cour d’appel de renvoi devra donc se prononcer sur l’équilibre des intérêts en présence. Cette analyse est souvent réalisée en matière de conflit entre le droit à l’image d’une personne photographiée et la libération d’expression artistique, les juridictions faisant régulièrement céder le droit des personnes photographiées lorsque l’œuvre est respectueuse de leur dignité et porteuse d’un message. Argument soutenu subsidiairement par Peter Klasen, qui énonçait que « sa démarche artistique s’inscrivait dans une perspective parodique de la société consumériste ». Le présent débat n’est pas sans rappeler le jugement d’un tribunal d’Anvers ayant condamné le 15 janvier 2015 le peintre Luc Tuymans pour avoir réutilisé une photographie de presse originale comme matériau pour l’une de ses œuvres. L’exception de parodie avait également été écartée, mais la liberté d’expression artistique n’avait pas été soulevée.

Légende photo

Le bâtiment de la Cour de cassation à Paris © Photo DXR - 2014 - Licence CC BY-SA 4.0

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°437 du 5 juin 2015, avec le titre suivant : Liberté d’expression artistique et appropriation

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