Leoš Válka : « Il n’y a pas de sujet intouchable »

Dirige le centre d’art Dox à Prague, un modèle institutionnel atypique

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 2 juin 2015 - 821 mots

Leoš Válka a fondé et dirige depuis cette année le centre d’art contemporain Dox à Prague, en République tchèque, une institution culturelle privée au projet singulier qui a ouvert au public en 2008. Dans cet entretien, il revient sur la genèse du lieu et le programme qu’il y défend.

Quelle est l’origine de Dox ?
Dox n’est pas tant la réalisation d’un projet ancien que la suite de mon itinéraire personnel. Après quinze ans d’activité dans l’aménagement et la réhabilitation architecturale en Australie, je suis revenu en République tchèque. Quand, en 2002, je suis tombé sur cette ancienne usine dans un quartier en transformation de Prague, son potentiel d’aménagement a transformé mon projet commercial en un projet culturel unique, qui correspond aussi à mon intérêt personnel pour l’art, le design et l’architecture. L’achat du bâtiment et sa transformation ont requis un investissement personnel et celui de mes associés, et la réussite de la transformation architecturale, couronnée par des prix, était une étape décisive.

Le projet de centre d’art s’est précisé progressivement, axé sur un champ large de la création contemporaine, incluant les nouveaux médias par exemple, mais sans projet de réunir une collection. J’ai pu confronter les projets et les programmes de bon nombre d’institutions. Le pari était de montrer qu’un lieu tel que nous le construisions pourrait trouver une réelle légitimité économique, être rentable dans le cadre d’une économie privée. Nous avons finalement obtenu un soutien par l’octroi de financements publics, à l’échelle nationale, et ils sont importants, mais non déterminants (18 % viennent de l’État et de la Ville sur 1,5 milion d’euros). Quant aux financements internationaux, ils demandent un investissement et une technicité dans les montages de dossier, bien lourds à mettre en œuvre pour nous. Mais les projets se construisent avec un réseau de partenaires spécifiques, organisations ou institutions d’art, souvent très internationaux.

Comment se passe le travail ensuite ?
J’ai travaillé avec une équipe, en particulier avec le curateur Jaroslav Anděl, qui était jusqu’à la fin 2014 le directeur artistique de Dox. Désormais, les projets viennent aussi parfois de l’extérieur, de propositions de curateurs, de collaborations avec d’autres institutions – pas nécessairement les plus connues –, sur des formats très variés, si les enjeux des œuvres nous intéressent.

Le programme de Dox est fondé sur un principe d’ouverture, pas du tout dans une logique élitaire, mais au contraire de plain-pied avec la société et le contexte. Je souhaite rendre accessibles à tous les différentes formes de l’art, au travers d’une programmation exigeante, ouverte sur les réalités du monde contemporain. D’où l’importance des programmes éducatifs que nous construisons, avec toutes sortes de publics. Nous sommes aussi indépendants pour l’édition de catalogues. Et nous ne proposons pas que des expositions, mais aussi des performances, des concerts, des conférences. Les formes de proposition sont diverses, à l’image de la production artistique d’aujourd’hui, quand elle sait se tenir loin d’un formalisme convenu.

Les axes de votre programmation laissent place à des projets thématiques très ancrés, y compris sur les contextes politiques ou les sujets d’actualité…
Les espaces de Dox (3 000 m2 de surface d’exposition) permettent de mener des programmes de différentes échelles simultanément, une trentaine par an. À côté des grandes expositions thématiques, comme « Modes of Democracy » [Formes de démocratie] en 2014, « Cartographies of Hope : Change Narratives » [Cartographie de l’espoir : vers de nouveaux récits] en 2013, ou notre exposition d’ouverture dont le titre, « Welcom to Capitalism ! » [Bienvenue dans le capitalisme !], se donnait comme une incitation à la réflexion, nous proposons des expositions monographiques. Elles concernent des artistes internationaux tels Douglas Gordon, Jonas Mekas ou Krzysztof Wodiczko, des artistes tchèques historiques comme de plus jeunes. Mais nous montons aussi des projets de design, d’édition d’artiste, d’architecture. L’exposition d’art brut en cours, construite à partir de la collection du collectionneur français Bruno Decharme, cohabite avec un projet du duo d’artistes praguois, Barbora Šlapetová et Lukáš Rittstein.

Nous avons une grande capacité de réactivité, comme lorsque nous avons proposé le 27 janvier 2015 un hommage à Charlie Hebdo intitulé « Journal (ir)responsable », ou en exposant la poétesse et photographe Liu Xia interdite en Chine avec des projets qui se prolongent hors les murs. Il n’y a pas de sujet intouchable, les artistes ne vivent pas dans un monde à part. La culture ne doit pas être coupée de la réalité quotidienne, on ne va pas dans les institutions culturelles comme on va à l’église. Ni comme on va dans les institutions qui servent le prestige financier, comme la luxueuse Fondation LVMH à Paris, pour y célébrer les élites sociales qui alimentent la marchandisation des arts en proposant au public des valeurs sûres et confirmées. Ici, nous choisissons notre programmation en fonction du contenu des propositions des artistes, à l’écart du marché, sensible seulement aux questions et aux tensions qui traversent le monde, ici en République tchèque et sur le reste de la planète.

Consulter le site de Dox : www.dox.cz/

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°437 du 5 juin 2015, avec le titre suivant : Leoš Válka : « Il n’y a pas de sujet intouchable »

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