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Jean-Christophe Fromantin : « Le modèle du pavillon national est dépassé »

Président d’« Expo France 2025 »

Maire de Neuilly-sur-Seine, Jean-Christophe Fromantin préside l’association qui soutient le projet
« Expo France 2025 ».

Jean-Christophe Fromantin est maire (UDI) de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), conseiller général et député. Il est également vice-président de Paris Métropole. Depuis 2012, il préside l’association qui porte le projet de candidature française à l’exposition universelle, « Expo France 2025 », ainsi que la mission d’information parlementaire sur le sujet.

Vous avez formulé votre projet : « Au cœur des territoires s’ouvre celui des hommes ». Pourquoi cet intitulé ?
Pour les Expositions universelles, le Bureau international des expositions (BIE) ne demande pas de thème, mais une invitation. Cette phrase réunit les trois idées majeures issues de nos réunions. L’hospitalité, valeur forte proposée par les étudiants de la Sorbonne. Le partage, qui est une valeur morale mais aussi un concept économique très contemporain. Enfin, la valorisation de la diversité : par cette phrase, nous souhaitons attiser la curiosité, pour pouvoir montrer un monde non standardisé.

L’Exposition universelle de Milan déçoit sur le plan scientifique (lire le JdA no 436, 22 mai 2015). Comment éviter les mêmes travers en 2025 ?
Je veux en finir avec le modèle du pavillon national et revenir au format originel. En 1855, le Palais de l’industrie, face au Palais des beaux-arts, mettait côte à côte les découvertes des uns et des autres. Autour des deux pavillons, seuls les espaces de convivialité étaient construits par chaque pays. Mais à partir de 1945, la logique des pavillons nationaux a pris le dessus. Les pays riches peuvent construire un pavillon mais n’y montrent rien, scientifiquement, tandis que les pays pauvres sont absents. Cette logique est dépassée. Notre audace emprunte à l’esprit du XIXe siècle pour retrouver des défis, avec du crowdsourcing contemporain pour faire émerger l’innovation par les rencontres. Dans des pavillons nationaux fermés, il n’y a plus de rencontre, donc plus d’innovation.

Comment donner à l’événement une légitimité scientifique, alors que chaque secteur (arts, nouvelles technologies, sciences) possède son événement mondial de référence, annuel ou biennal ?
Hormis le grand pavillon numérique central, sorte de village virtuel mondial, il y aura dix ou douze pavillons thématiques répartis dans le Grand Paris. Autour de chaque thématique, un comité scientifique propre est à construire, avec un cahier des charges focalisé sur l’immersion : comment vit-on dans le quartier le plus environnemental du monde ? À quoi ressemblerait l’enseignement parfait via les Mooc (1) ? Peut-on proposer une modélisation totale du fonctionnement du corps humain ? La légitimité viendra de la dimension pédagogique et de l’interactivité permises par la qualité de la mise en scène. Par ailleurs, l’innovation naît aussi du format même de l’Exposition universelle : en plaçant le pavillon horticole sur l’île Saint-Germain, en 1867, les organisateurs ont précipité l’invention des bateaux-mouches. Créer une exposition sur dix ou douze sites différents sera aussi une obligation de repenser les mobilités.

Comment redéfinir le format pour une coordination effective entre les pays ? Ne faut-il pas qu’un commissaire unique se mette déjà au travail ?
Au temps de la préfiguration (2011-2015) succède en ce moment le temps de la candidature (2016-2018). Il s’agit de donner au BIE des garanties, tant sur le plan politique – c’est le rôle interministériel de Pascal Lamy [chargé depuis avril de superviser la candidature de la France, NDLR] – que sur le contenu.
Si la France est retenue, à partir de 2018, viendra le temps du projet. J’aimerais l’inverse d’un commissariat omnipotent : une pyramide inversée. En haut, chacun des dix ou douze pavillons thématiques devra fonctionner en autonomie (comme la tour Eiffel fut en 1889 un projet indépendant, tant pour son financement que pour sa construction). Il y aura une société d’exploitation pour chaque pavillon. En bas de la pyramide, une société de services globale s’attachera aux éléments communs : coordination logistique, interfaces avec l’État, billetteries, transports.

Vous avez dit : « Nous ferons l’Expo sans argent public. » Comment éviter la prédominance des intérêts commerciaux ?
Le financement est aussi un sujet d’innovation. D’abord, les recettes prévisionnelles sont à la hauteur des investissements nécessaires. Ensuite, si nous proposons pour chaque thème un vrai projet immersif et interactif, chaque pavillon sera assez attrayant pour engendrer un écosystème de type salon (avec ticket d’entrée) autour de lui plutôt qu’à l’intérieur, pour ne pas interférer avec le propos scientifique.

Vous prévoyez, sur toute la durée de l’Expo, entre 50 et 80 millions de visiteurs répartis sur dix pavillons, mais souhaitez éviter « les trois heures d’attente devant chaque pavillon observées à Shanghaï ». De quelle façon ?
Par un espace adapté à l’immersion, notamment numérique, mais aussi par une répartition chronologique et spatiale des visiteurs sur les pavillons, permise par les nouvelles technologies qui coordonneront les billetteries.

Quatre hommes pour diriger « France Expo 2025 », peu de personnes issues des minorités parmi les soutiens : l’équipe ne doit-elle pas évoluer pour que le grand public s’identifie davantage au projet ?
L’évolution se fera naturellement. Je ne me vois pas contingenter a priori. De toute façon, si l’événement ne représente pas la diversité de la société, il court le risque d’être artificiel. À nous de construire les conditions pour que tout le monde puisse y avoir sa place.

Vous avez dit « nous voulons faire de la France un immense atelier pour les artistes du monde entier ».

C’est un point essentiel. L’art et la culture ont déserté les expositions depuis un demi-siècle. D’abord, deux ou trois grands pavillons parmi les douze seront consacrés à la création. Mais l’objectif est de créer un « off » couru. Exemple : en accueillant des artistes dans tous nos halls de mairie (grâce aux jumelages), on peut créer des parcours de qualité, avec une réelle attractivité, à même de « rentrer dans le catalogue » de l’expo, et convaincre le touriste d’opter pour des « détours » que nous encourageons.

Les institutions emblématiques de la jeune création seront-elles sollicitées ? Frac [Fonds régionaux d’art contemoprain], Palais de Tokyo, écoles d’art… ?
Une partie de la réponse sera nécessairement institutionnelle, notamment parce que nous voulons en priorité nous fondre dans l’existant. Il y aura un pavillon dévolu aux arts vivants, avec une grande salle de spectacle dont la programmation sur six mois devra représenter l’expression de tous les pays du monde. Une troupe sera en résidence, aussi cosmopolite que possible, qui produira l’opéra de l’Expo et partira sûrement en tournée à l’issue de l’Expo. Idem pour les arts plastiques, avec l’inscription d’un site central qui accueillera des plasticiens. Mais seul un « off » bien construit fera vibrer artistiquement tout le territoire.

En France, l’avant-garde artistique est perçue comme élitiste, alors que la technologie semble plus populaire. Comment réconcilier les deux ?
L’enjeu est la médiation. Il faut multiplier les acteurs, former des médiateurs. Rien ne doit être cru, dur. À l’époque où Michelin fabrique le pneu, il n’intéresse personne car la voiture est marginale. Alors l’entreprise édite un guide des restaurants aux quatre coins de la France, qui sort pendant l’Expo universelle. Le guide annonce le sens de l’usage de la voiture : il devient un élément du patrimoine en sublimant la culture gastronomique française. Pour être populaire, la culture doit donner du sens aux inventions.

L’image des dernières Expositions universelles va-t-elle rendre difficile la mobilisation du secteur culturel ?
Si je parviens à faire passer l’idée d’un changement radical de format, nous obtiendrons le soutien populaire et professionnel dont nous avons besoin.

Note

(1) Massive open online courses : modules d’enseignements sur Internet, sur toutes les thématiques.

Légende photo

Jean-Christophe Fromantin. © Expofrance 2025.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°437 du 5 juin 2015, avec le titre suivant : Jean-Christophe Fromantin : « Le modèle du pavillon national est dépassé »

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