Vivre hors du cloître : l’habitat canonial à Metz au Bas Moyen Âge (1200-1530)

Le Journal des Arts

Le 20 mai 2015 - 699 mots

Les chanoines de la cathédrale de Metz forment le plus ancien chapitre d’Occident. Ils représentent l’élite du clergé diocésain.

Au nombre de soixante en 1200, puis trente-huit après 1400, les chanoines sont un groupe plutôt riche et conscient de sa spécificité. Leur patrimoine foncier en fait les premiers propriétaires de la ville et leurs revenus leur assurent une aisance indiscutable (1). Cette assise attire au chapitre des personnages locaux – Lorrains des villes et des campagnes, patriciens de Metz et nobles féodaux – ainsi que de nombreux individus de France et d’outre-Rhin à égalité.

Ce panorama résume les influences œuvrant à la définition de l’identité messine médiévale. Identité dont participe le chapitre de Metz, même s’il se revendique seigneur justicier indépendant du patriciat en pleine ascension et d’un épiscopat au faste déclinant après la Querelle des Investitures. Metz, cité francophone au sein du Saint Empire et étape entre l’Italie et le Nord, est au Moyen Âge un grand carrefour commercial et financier au cœur de l’Europe. Bénéficiant d’un formidable essor démographique – elle double de superficie au XIIIe siècle –, la cité-État invente son propre vocabulaire artistique en fusionnant des formules empruntées aux régions voisines. Elle respecte néanmoins certains acquis de l’époque romane dans ses conceptions architecturales. Ainsi, nous sommes dans une cité qui reconstruit massivement ses maisons et ses églises en assumant des réminiscences ottoniennes et romanes, en les adaptant aux techniques gothiques apparues en Lorraine via Toul dans les années 1220. De là provient par exemple le goût pour les fenêtres à tympan trilobé, qui manifeste des influences méridionales et bourguignonnes tout en actualisant un procédé roman préexistant. Il s’agit là d’un subtil jeu de bascule entre permanence et modernité qui donne à l’art messin, très attaché à la rhétorique seigneuriale (tours et créneaux comme en Rhénanie ou en Italie du Nord), une originalité réelle. Les chanoines familiers des élites nobles et marchandes ont adhéré à ce mouvement et lui ont imprimé leur propre marque par la diffusion de motifs empruntés à l’encyclopédisme roman, réinventé localement par la rédaction de L’Image du monde de Gossuin de Metz dans les années 1240. Ce trait s’observe principalement dans les arts décoratifs à travers les plafonds au bestiaire datant des mêmes années découverts dans une ancienne maison canoniale en 1896, où un possible portrait du commanditaire atteste d’une certaine mondanité de ce milieu (2). Cette caractéristique est toujours d’actualité vers 1400, comme le montre un plafond armorié également retrouvé dans une maison canoniale en 1968, tel qu’on en verrait dans un logis laïc, flanqué de peintures murales évoquant le cycle arthurien et la culture courtoise édifiante.

Cette culture et cet art prennent place dans des propriétés suivant quatre modèles, où les espaces de réception hésitent entre le rez-de-chaussée et le premier étage. Le premier type est celui de l’hôtel entre cour et jardin, qui est attesté pour des demeures remontant au XIIIe siècle et représente la moitié des résidences canoniales. Le deuxième type est celui de la « maison en façade » occupant tout le front de rue et se répartissant en deux ailes. Un troisième type moins nombreux regroupe les maisons-boutiques ou maisons-tours, formant un unique bâtiment en façade. Un dernier type très minoritaire comprend des structures antérieures à la vogue gothique caractérisées par un pôle bâti massif au centre de la parcelle. Cet habitat, lieu de fabrication du style messin médiéval, est aussi celui où s’exprime le souffle de la Renaissance, impulsé à Metz en bonne part par les chanoines liés à l’Italie en concurrence avec une ornementation flamboyante encore tenace, comme le démontre la façade bien préservée de l’hôtel de Gargan (3). L’habitat canonial est en cela révélateur de la dynamique qui anime ses occupants, soucieux de concilier luxe et pastorale tout en prenant part aux mutations intellectuelles et artistiques.

Guillaume Frantzwa
 
Notes

(1) Quoique attaché aux traditions, le chapitre s’adapte aux impératifs de gestion en inventant au besoin des systèmes originaux comme la « Maisonnerie » à partir des années 1220 pour surveiller ses biens dans un contexte de tension urbaine.
(2) Voir ci-contre : Plafond au bestiaire A, détails, Musée de la Cour d’Or, Metz, vers 1240.
(3)Voir illustration 2 : l’hôtel de Gargan, Metz, vers 1450-1520.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : Vivre hors du cloître : l’habitat canonial à Metz au Bas Moyen Âge (1200-1530)

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