Anthropologie

Les peuples de la Terre de Feu ressuscités

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 20 mai 2015 - 498 mots

La restauration des photos du missionnaire allemand réalisées lors de ses immersions en Terre de Feu est l’occasion d’un témoignage unique de ces ethnies disparues.

Aujourd’hui comme hier, la Terre de Feu au sud de la Patagonie est un lointain austral battu par les vents glacials des Quarantièmes rugissants que tout grand voyageur ou navigateur aguerri rêve un jour d’arpenter. L’histoire de ses représentations depuis le premier récit du navigateur Antonio Pigafetta et les écrits de Charles Darwin est longue et soumise encore à des découvertes ou redécouvertes fabuleuses. C’est ce que révèle l’ouvrage consacré aux photographies du missionnaire allemand Martin Gusinde réalisées entre 1918 et 1924 sur les Selk’nam, Yamana et Kawésqar, populations décimées par la colonisation.

Si dès 1918, certaines de ces images ont circulé par voies de presse ou de conférences, la quasi-totalité des portraits et mises en scène de rites sacrés de Martin Gusinde est demeurée exempte de monographie... Jusqu’à ce que l’éditeur Xavier Barral, marqué par l’histoire de ces populations après son séjour en 1987 sur l’île Navarino au sud du Chili, y ait accès dans sa globalité grâce à Christine Barthe, responsable de l’unité patrimoniale des collections photographiques du Musée du quai Branly et auteure en 2012 de « Patagonie, images du bout du monde » (en 2012). L’exposition  comprenait quelques-uns de ces visages et corps peints selon des codes de lignage propres à chaque homme ou chaque femme.

De rares représentations

Conservés à Cologne par l’Institut Anthropos, le fonds compte 12 000 prises de vue issues des quatre séjours en immersion de ce prêtre formé aux sciences, à la médecine, à la biologie et à l’anthropologie. Face à ce rare témoignage, la qualité , la force des portraits et des scènes rituelles, l’enthousiasme de la conservatrice et de l’éditeur se devine aisément. C’est avec ce même engagement qu’ils ont numérisé et restauré avec l’accord de l’Institut Anthropos les négatifs de ces archives, ainsi que tiré sur papier un certain nombre d’images en vue de l’édition du livre et de l’exposition, notamment à Arles cet été lors des Rencontres de la photographie.

À la grande qualité de reproduction des 230 photographies noir et blanc s’adjoint le plaisir de la lecture des textes fluides et limpides sur l’histoire, le quotidien, les coutumes et le génocide de ces peuples entamé à partir des années 1880. De la recontextualisation des travaux de Martin Gusinde menée par Christine Barthe à l’explication de l’ethnologue Dominique Legoupil du processus de peuplement et de dépeuplement de la Terre de Feu, c’est un bout de vie révolue de ces archipels du détroit de Magellan qui ressuscite et auquel le texte de l’anthropologue américaniste Anne Chapman (1922-2010) – fruit de la recontre avec Martin Gusinde et des derniers témoignages de ce peuplement – donne chair. Tout aussi prenant est le texte de l’historienne chilienne Marisol Palma Behnke sur les premiers pas du jeune anthropologue dans sa découverte de ce qu’il reste des peuples fuégiens, après trois décennies à peine de colonisation.

Martin Gusinde. L’esprit des hommes de la Terre de Feu, Selk’nam, Yamana, Kawesqar, Editions Xavier Barral, relié, toilé, 250 x 310 mm, 300 pages, 230 photographies noir et blanc, prix 60 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : Les peuples de la Terre de Feu ressuscités

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