Allégorie

Débat philosophique à la sauce nipponne

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 20 mai 2015 - 464 mots

La première traduction publiée de ce traité gastronomique redonne vie et une nouvelle lecture au délicat rouleau japonais qui l’illustre.

Surtout, ne vous fiez pas à son titre ! Des mérites comparés du saké et du riz pourrait faire croire à quelque recueil de recettes vaguement exotiques ressuscité à des fins commerciales. Rédigé vers la fin du XVe siècle dans le milieu de la cour impériale de Kyoto, ce texte anonyme traite en fait, sur un mode satirique aux accents rabelaisiens, le choix épineux entre consommation de saké ou de riz, entre excès de table ou modération.

Or cette disputation d’une portée toute philosophique devait engendrer un flot d’illustrations au cours des siècles, dont ce rare rouleau peint de 7,30 m de long acquis par la Bibliothèque nationale de France en 1994, lors d’une vente publique à Paris. S’inspirant largement d’une œuvre due au pinceau de Kanô Motonobu, l’un des plus talentueux peintres de la fin du Moyen Âge nippon, ce long ruban de papier revit dans toute la fraîcheur de sa polychromie grâce au travail de photogravure réalisée par les Éditions Diane de Selliers. « Il a fallu œuvrer en orfèvre pour rendre, par exemple, au rouge d’un vêtement sa teinte orangée et éviter que la peau du personnage qui le porte ne se colore par extension. Il a également fallu reprendre une à une les fleurs du saule – originellement d’un jaune vif – qui avaient perdu de leur éclat à la photographie alors même qu’elles constituent, sur le rouleau original, le premier détail attirant l’œil du spectateur. Par ailleurs, chaque détail de couleur or a fait l’objet d’un travail sur la lumière et la texture », explique ainsi l’éditrice, coutumière de ce genre de projet. On se souvient ainsi de ce coffret publié en 2011 qui proposait une version intégrale du Ramayana illustrée par la quintessence des miniatures mogholes dispersées dans les collections du monde entier…

Une traduction ciselée par une équipe de chercheurs
C’est la même exigence intellectuelle qui a animé Diane de Selliers et les conservateurs de la Bibliothèque nationale de France pour proposer la version la plus satisfaisante de ce traité philosophique aux inventions lexicales et aux jeux de mots particulièrement subtils. La traductrice Claire-Akiko Brisset a ainsi animé une équipe d’une dizaine de chercheurs pendant plus de trois ans pour arriver à l’élaboration de ce texte fluide, poétique, et jamais ennuyeux. Le résultat ? Une promenade gustative à travers les rituels culinaires et l’art de vivre de l’ancien Japon, sur fond de recettes savoureuses et d’aphorismes bouddhiques. On goûtera avec le même plaisir les subtilités de la peinture nippone, son art des cadrages comme des détails insolites. Et l’œil de se promener avec délectation à travers ces scènes d’ivresse et de plaisir dignes des plus grands cinéastes japonais!

Claire-Akiko Brisset, Estelle Leggeri-Bauer et Véronique Béranger, Des mérites comparés du saké et du riz, illustré par un rouleau japonais du XVIIe siècle, coédition Bibliothèque nationale de France/Éditions Diane de Selliers, texte intégral, traduction dirigée par Claire-Akiko Brisset, préface de Komine Kazuaki, volume sous coffret, 248 pages, 62 illustrations, 160 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : Débat philosophique à la sauce nipponne

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