XVIIe siècle

La Fosse, la couleur en partage

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 5 mai 2015 - 860 mots

Le plus fidèle des artistes de Louis XIV, considéré comme un grand décorateur,
se voit réhabilité au château de Versailles.

VERSAILLES - Si vous voulez vous lancer dans une carrière d’artiste, un conseil : évitez de naître dans une période de transition (comme la nôtre, sans doute). Votre cas risque d’être vite classé : la « transition », soit bientôt le trou noir de l’histoire de l’art. L’artiste n’assure au mieux que la courbe d’un cycle passant d’une rupture esthétique à une autre. Tel pourrait être résumé l’avertissement d’Alain Mérot dans le catalogue de la remarquable exposition consacrée à Charles de La Fosse au château de Versailles. Selon le spécialiste de la peinture du XVIIe siècle, cet artiste « a pâti plus qu’un autre de cette illusion rétrospective qui pervertit le jugement historique ». Il reprend ainsi les remarques déjà formulées par Antoine Schnapper, qui fut l’un des premiers historiens de l’art, avec Anthony Blunt, à reconnaître le mérite spécifique du peintre. La fonction de La Fosse dans la chronologie était toute trouvée : passer le relais entre le baroque assagi de Charles Le Brun (son maître) et les charmes volages d’Antoine Watteau (son élève).

Décors disparus
Clémentine Gustin-Gomez, rédactrice du catalogue raisonné de La Fosse (éd. Faton, 2006), qui a voulu réhabiliter le peintre à Versailles, rappelle qu’il fut considéré comme « le plus grand décorateur de son temps », aidé par la technique de la fresque et des peintures plafonnantes qu’il acquit lors de ses études à Rome. Malheureusement, la plupart de ses apports dans les palais ont été détruits. L’exposition en donne cependant une idée, permettant de retrouver, selon ses termes, « la fraîcheur de sa palette, ses compositions tournoyantes et la beauté des figures » qui firent sa séduction. On pourrait y ajouter une intelligence du récit mise au service du pouvoir royal. Ses dieux antiques sont des éphèbes ressemblant aussi bien au Christ qu’à Louis XIV.

Né en 1636, mort octogénaire en 1716, La Fosse est le seul artiste à accompagner tout le règne de Louis XIV, dont il est presque l’exact contemporain. Le Brun est décédé un quart de siècle avant lui, après des années de mise à l’écart. Ces seules caractéristiques suffiraient à justifier l’exposition, qui emprunte des œuvres en Russie ou aux États-Unis, pour nous faire partager le plaisir de ce mouvement et de la couleur d’un tel émule des maîtres flamands et vénitiens.

Le parcours commence par les commandes royales. Pour le Trianon de marbre, La Fosse peint ses plus belles œuvres dans une ambiance crépusculaire, en témoigne Le Repos de Diane et l’abattement de Clythie, voyant s’éloigner Apollon, jusqu’à se transformer en tournesol. Cette atmosphère contraste avec la lumière argentée voilant L’Enlèvement d’Europe et le Renaud et Armide réalisés à Londres pour le duc de Montagu.

Grands chantiers
La Fosse fut associé aux chantiers les plus prestigieux du règne. Il fut amené à peindre la coupole des Invalides, que Louis XIV voulait ériger en nouvelle cathédrale de Paris. Versailles a fait venir une maquette de 2 mètres de rayon de cette Apothéose de Saint Louis, devenu le souverain miséricordieux de référence dès lors que le royaume traversait une période de souffrance. À côté se trouve une belle étude de tête du Christ issue de la collection Prat, car l’exposition a la bonne idée de rapprocher les dessins préparatoires des peintures. Le même programme autour de Saint Louis se retrouve à la chapelle royale à Versailles, où La Fosse fut encore appelé à peindre la Résurrection du Christ sous laquelle le roi prenait place.

Le vieux maître sut repérer le talent de Watteau, qui avait près de cinquante ans de moins que lui. Ils se trouvèrent, rue de Richelieu à Paris, sous la protection du mécène Pierre Crozat. L’exposition se clôt brillamment par une confrontation des figures de La Fosse avec l’Allégorie de l’Été peinte par Watteau pour un cycle des quatre saisons destiné à la salle à manger de Crozat au moment de la disparition de son mentor. La Fosse initia aussi le jeune homme au dessin coloré « aux trois crayons », technique qu’il avait lui-même reprise de Rubens.

Il faut venir voir les angelots, les petits génies et les trognes : La Fosse a de l’humour. Un compagnon de Vulcain lorgne en douce sur les beaux seins offerts par Vénus. Quand Bacchus vient courtiser Ariane, son roquet grogne pour défendre sa maîtresse, qui a quelques raisons de se méfier des hommes. Du reste, elle tend le doigt vers le chien, comme pour demander au dieu s’il saura lui rester aussi fidèle. Ce n’est pas seulement le peintre, mais l’atmosphère de cette dernière partie du règne, traditionnellement réduite à un sombre déclin étouffant sous un moralisme étroit, qui mérite d’être réévaluée.

LA FOSSE

Commissaires : Béatrice Sarrazin, conservatrice générale du patrimoine, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon ; Adeline Collange-Perugi, conservatrice du musée des beaux-arts de Nantes ; Clémentine Gustin-Gomez, docteure en histoire de l’art
L’exposition est organisée en collaboration avec le Musée des beaux-arts de Nantes, qui présentera « Charles de La Fosse, les amours des dieux » dans la chapelle de l’Oratoire du 20 juin au 20 septembre.

Charles de la fosse (1636-1716), le triomphe de la couleur

Jusqu’au 24 mai, château de Versailles, place d’Armes, 78000 Versailles, tél. 01 30 83 78 00, tlj sauf lundi et jours fériés, 9h-18h30, entrée 15 €. Catalogue, éd. Somogy, 240 p., 35 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°435 du 8 mai 2015, avec le titre suivant : La Fosse, la couleur en partage

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