Histoire de l’art

Un Longhi un peu court

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 5 mai 2015 - 711 mots

Le Musée Jacquemart-André expose l’itinéraire de l’historien de l’art et collectionneur Roberto Longhi. Une perspective un peu trop ambitieuse au regard des espaces d’exposition, restreints.

PARIS - « De Giotto à Caravage », annonce le titre. Ce n’est pourtant pas à une exploration chronologique de l’histoire de la peinture que nous convie l’exposition du Musée Jacquemart-André, à Paris, mais à suivre l’itinéraire artistique de l’historien de l’art italien Roberto Longhi (1890-1970) au gré de ses « passions ». Vingt-trois œuvres provenant de la Fondation Roberto Longhi pour l’étude de l’histoire de l’art (Florence) témoignent de l’ardeur de l’historien à collectionner les œuvres qu’il étudiait. La manifestation, complétée par les prêts de musées français et italiens, fait ainsi la lumière sur les différents peintres, œuvres, époques et foyers artistiques que Longhi a réévalués une vie durant.

Tout commence avec le Caravage, artiste encore méconnu au début du XXe siècle et sujet d’une thèse de laurea que le précoce Longhi soutient le jour de ses 22 ans. Avant de l’acquérir pour sa collection personnelle, Longhi intègre le Garçon mordu par un lézard (1594, Fondation Longhi), qui ouvre l’exposition, dans le corpus des œuvres de jeunesse du peintre lombard. Ne se bornant pas à l’étude du maître, il définit le style « caravagesque » dans le paysage de l’histoire de l’art. Nombre de ses attributions prévalent aussi encore aujourd’hui pour le trecento et le quattrocento. Ainsi, en regardant en 1930 une reproduction d’un Saint Étienne attribué à Giotto, reconnaît-il deux panneaux à même de venir compléter le polyptyque : un Saint Jean l’Évangéliste et un Saint Laurent acquis par Nélie Jacquemart pour l’abbaye de Chaalis (Oise). Sur le fondement d’une intuition, il donne à la main de Masaccio la sublime Vierge « de la chatouille » (1426-1427, Galerie des Offices, Florence), qui mêle plasticité sculpturale, préciosité gothique et tendre émotion – l’œuvre est le point d’orgue de l’exposition. Longhi va en outre effectuer la reconquête progressive de foyers artistiques négligés, tel le XIVe siècle de l’Italie du Nord (Vitale da Bologna, Pietà et Saints, 1355-1365, Fondation Longhi) à une époque encore empreinte d’une histoire de l’art dessinée par Vasari, et centrée sur la Toscane.

« Il semblait déjà »
Son champ d’intérêt est encore plus large. Homme de son temps, Longhi a beaucoup regardé les modernes. C’est d’abord à l’aune de Manet ou de Courbet (ce dernier, découvert à la Biennale de Venise de 1910) qu’il considère le Caravage. À la différence d’un Bernard Berenson (1865-1959), spécialiste de la Renaissance italienne, l’historien de l’art a toujours regardé le passé à la lumière du présent, et inversement, dans un aller-retour permanent. Il multiplie ainsi les exemples de « connotations par avance », « l’un de ses “il semblait déjà” si caractéristiques de sa lecture d’œuvres d’art éloignées dans le temps mais reliées par un subtil fil rouge », explique Maria Cristina Bandera, directrice scientifique de la Fondation Longhi, dans le catalogue. Ainsi, Longhi fait de Piero Della Francesca (auquel il consacre une monographie en 1927 [1]) une figure charnière inédite de l’histoire de l’art : « le premier des coloristes » qui préfigure Cézanne. Aussi regrette-t-on que l’accrochage reste si fidèle aux habitudes du Musée Jacquemart-André (exposer la peinture ancienne) et ait écarté des cimaises la part de « moderne » fondamentale dans l’itinéraire d’un Longhi qui collectionnait notamment les futuristes.

Exposer le parcours d’un historien de l’art à la lumière des œuvres qu’il a étudiées et réunies n’est pas chose aisée. Ici, les différentes grilles de lecture cohabitent mal dans la médiation écrite : y sont livrées des informations sur la vie de Longhi, son regard sur les œuvres, mais aussi celles concernant les œuvres exposées (style, iconographie, biographie du peintre). Un peu trop ambitieux pour des espaces aussi étriqués que ceux de Jacquemart-André. Le parcours se limitant trop souvent à quelques attributions et citations, le visiteur devra se reporter au catalogue pour en apprendre plus sur un grand historien de l’art dont l’œil a marqué la discipline.

Note

(1) traduite par les éditions Hazan.

De Giotto à Caravage

Commissariat : Mina Gregori, présidente de la Fondation Roberto Longhi pour l’étude de l’histoire de l’art ; Maria Cristina Bandera, directrice scientifique de la Fondation Roberto Longhi ; Nicolas Sainte Fare Garnot, conservateur du Musée Jacquemart-André
Nombre d’œuvres : 35

De Giotto à Caravage, les passions de Roberto Longhi

Jusqu’au 20 juillet, Musée Jacquemart-André, 158, bd Haussmann, 75008 Paris, tél. 01 45 62 11 59, www.musee-jacquemart-andre.com, tlj de 10h-18h, entrée 12 €. Catalogue, coéd. Culturespaces/Fonds Mercator, 191 p., 39 €.

Légende photo
Masaccio, Vierge à l’Enfant (Vierge de la chatouille), vers 1426-1427, tempera et or sur bois, 24,5 x 18,2 cm, Galerie des Offices, Florence. © Istituti museali della Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Fiorentino.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°435 du 8 mai 2015, avec le titre suivant : Un Longhi un peu court

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