Marc Partouche : « Il faut toujours être en mouvement »

Le plan de Marc Partouche pour l’ENSAD

Directeur de l’Ensad de Paris, présente sa réforme de l’école

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 21 avril 2015 - 1257 mots

PARIS

Marc Partouche révèle son plan de réforme pour l’École nationale des arts décoratifs de Paris qu’il dirige depuis un an.

Marc Partouche (63 ans) a succédé en mars 2014 à Geneviève Gallot à la tête de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris. Il connaît bien l’enseignement supérieur artistique pour avoir notamment dirigé l’École nationale supérieure d’Arts de Paris-Cergy de 1992 à 1999 ou l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles-École supérieure des arts. Il a réservé au Journal des Arts le détail de son plan de réforme de l’Ensad.

Vous êtes arrivé à la direction de l’Ensad il y a maintenant un an,quelle a été votre première mission ?
Ma mission était double : engager une nouvelle dynamique et pacifier l’école. Les deux aspects étant indissociables, car il y avait un certain nombre de remous. La pacification ne se fait pas par un attentisme, mais par la mise au point de projets pour faire adhérer un maximum d’acteurs. De ce point de vue les crises sont toujours des moments qui ouvrent des possibles. On a donc fait les deux, pacifier et se projeter avec une méthode de concertation, de discussion, de démocratie interne.

Comment avez-vous procédé ?
J’ai proposé une série de réunions plénières, où était invité l’ensemble du personnel. J’ai une vision structurale des organisations. Tout est important, il n’y a pas de fonction majeure et mineure dans une structure comme celle-ci. On est parti d’un projet que j’avais écrit et qui a évolué. Ces réunions ont produit un premier document que j’ai synthétisé, puis adressé à tout le monde début septembre, et qui a donné lieu à un deuxième temps de travail : réunions plénières, cinq groupes de travail, réactivation des instances. Enfin j’ai présenté une première ébauche lors du dernier conseil des études, suivi d’une séance des groupes de travail ; le tout a abouti à la version présentée au conseil d’administration du 27 mars. Jusqu’à présent l’ambiance est très bonne, mais maintenant que nous entrons dans la phase opérationnelle la délicatesse est encore plus requise.

Commençons par la pédagogie, qu’est ce qui change ?
D’abord replacer la pédagogie au centre de l’école ! Puis renforcer la dialectique entre spécialisation et transdisciplinarité. Notre force par rapport aux autres écoles d’art, ce sont les spécialisations ; il faut les maintenir, mais il ne faut pas que cela devienne des ghettos et qu’un étudiant se prive au cours de ses cinq ans d’études de toutes les richesses qu’offre l’école. Nous regroupons les dix secteurs en deux pôles, plus un troisième transversal qui fait la jonction entre ces pôles. Un étudiant ne va plus s’inscrire dans une spécialisation, mais dans un pôle. On va repérer les enseignements redondants dans chaque spécialisation pour en faire des ensembles communs aux pôles. Chaque étudiant construit son parcours classiquement avec des majeures et des mineures.

Le diplôme de l’Ensad est de grade Master, allez-vous introduire un niveau intermédiaire ?
Oui, même si cela ne concerne que peu d’élèves, nous allons créer une licence. Nous allons aussi expérimenter une « année 0 », sous forme d’ateliers de sensibilisation animés par nos étudiants de cinquième année dans un certain nombre de collèges et lycées de la proche banlieue. On crée également une sixième année professionnalisante ; il s’agit d’aider une dizaine d’étudiants à affiner leur projet professionnel : déposer un brevet, faire un prototypage ou une petite série, créer une entreprise, etc.

Vous m’aviez dit lors de notre première rencontre, il y a quelques mois, que vous vouliez changer le concours et la première année. Où en êtes-vous ?
Expliquons d’abord la situation. Il y a environ 2 500 candidats au concours d’entrée de première année. L’école en sélectionne à peu près 80, puis 40 parmi les 1 000 candidats à la deuxième année et de même en quatrième année. C’est antipédagogique au possible et pas seulement pour des raisons démocratiques. Les 80 candidats qui réussissent sont très bons mais assez homogènes. Avec notre système de concours on ne peut pas favoriser la diversité et attirer suffisamment d’étudiants étrangers. Je travaille sur un projet radical : supprimer le concours d’entrée en première année et le remplacer par une première année (qui n’est pas une prépa) qui rassemblerait environ 1 000 étudiants, dans des locaux extérieurs. À l’issue de cette année, les 80 meilleurs étudiants sélectionnés par le contrôle continu passeraient en deuxième année ; on y gagne en ouverture et en diversité. Nous ferons tout pour que les autres acquièrent leurs 60 crédits et puissent ainsi postuler en deuxième année dans une autre école d’art en Europe. Cela représenterait un budget d’environ 1 million d’euros, par réallocation de nos moyens et mécénat. Mais trouver 3 000 m2 qui seraient mis à notre disposition n’est pas aisé, j’y travaille.

Et si vous n’arrivez pas à mettre en œuvre cette solution qu’allez-vous faire ?
On pourrait, par exemple, supprimer la première année et recruter à bac 2 en travaillant avec certaines écoles en région et accueillir en deuxième année un à deux étudiants par école partenaire. Je souhaite aussi réserver 25 à 30 % des entrées à des étudiants non européens qui seraient choisis sur dossiers et/ou entretiens. Et pour faciliter l’apprentissage de l’anglais, le cours principal de chaque secteur sera fait en anglais. Beaucoup d’enseignants de l’école sont capables d’enseigner dans cette langue. Ce sera également un critère pour les nouveaux professeurs.

Justement allez-vous modifier les procédures de recrutement d’enseignants et au-delà la gouvernance de l’école ?
Oui, nous créons quatre commissions spécifiques de recrutement, au lieu d’une généraliste aujourd’hui et nous nous attachons à choisir un enseignant dans la logique des nouveaux projets, et pas par le remplacement du même. Nous ouvrons aussi trois postes de professeurs invités, hors commission donc, pour une durée de un à trois ans. S’agissant de la gouvernance, l’organigramme est revu, nous supprimons plusieurs instances et créons une mission « développement » qui regroupe la communication, les éditions, les partenariats et le rapport aux milieux professionnels.

En quoi est-ce du « développement » ?
Nous avons plusieurs projets ambitieux. Nous voudrions créer une activité de formation professionnelle et des « summer sessions » [stages d’été, ndlr] pour étudiants, dont les bénéfices pédagogiques et matériels seraient reversés à toute l’école. Il nous faut aussi nous internationaliser. Nous sommes en discussion avec des partenaires à l’étranger pour bâtir des masters communs et surtout créer des écoles sœurs. Une Ensad-Shanghaï est envisagée. Nous comptons nous appuyer sur notre réseau d’anciens, qui est très développé. Le bureau des Alumnis sera d’ailleurs réinstallé dans nos locaux. Et puis nous réfléchissons à de nouveaux projets de formation. Par exemple, autour de la mode. L’Ensad s’appuierait sur ses très bons secteurs modes et textile et construirait des complémentarités avec différents partenaires. La réflexion est en cours. Également, est à l’étude la création de masters transversaux dans le domaine du design ou de l’utilité publique.

Pourquoi s’engager dans autant de projets à la fois ?
Il faut toujours être en mouvement. Les écoles d’art sont coincées entre le marché international de l’éducation qui est maintenant organisé et une partie de l’université qui veut les normaliser (sous cet aspect, l’appartenance de l’Ensad à la Comue PSL la protège). On est l’un des derniers pays où les écoles d’art sont autonomes. Il faut montrer la force de nos écoles qui sont très critiquées pour leur taille et leurs supposés privilèges. Mais tout cela doit se faire à budget public constant. Quand on a travaillé comme moi en Belgique, on voit bien qu’en France les moyens sont là.

Légende photo

Portrait de Marc Partouche. © Charles Paulicevich.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°434 du 24 avril 2015, avec le titre suivant : Le plan de Marc Partouche pour l’ENSAD

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