Art ancien

Grand siècle

Poussin canonisé

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 21 avril 2015 - 869 mots

Dans une exposition revenant sur ses relations avec le divin à l’aune des nouvelles recherches, le Louvre enferme le peintre dans une œuvre répétitive et lassante.

PARIS - Nicolas Poussin (1594-1665) ressemble au Victor Hugo figé par Léon Bonnat en patriarche sévère… « Poussin a fixé le goût gallican pour trois siècles dans le monde des arts français », assène Marc Fumaroli dans le catalogue. Autrement dit, il a été bien installé pour peser de tout son poids sur notre histoire nationale, omettant au besoin qu’il a passé presque toute sa carrière à Rome.
À l’occasion du 350e anniversaire de sa mort, cette exposition au Louvre, premier dépositaire de son œuvre, lui redonne encore de sa pesanteur. Paradoxalement, elle est organisée par un quadragénaire, Nicolas Milovanovic, arrivé au Louvre il y a trois ans, dont le premier geste est donc de venir s’incliner devant la statue du commandeur.

« Poussin, païen ou chrétien ? » : le gros titre barrait Le Figaro du 29 septembre 1994 – déjà un tout autre siècle. À l’occasion de la grande rétrospective organisée par Pierre Rosenberg au Grand Palais, quatre siècles après la naissance de l’artiste, le quotidien conservateur publiait le cri du cœur de Fumaroli devant le sacrilège proféré par le grand spécialiste Jacques Thuillier, aujourd’hui disparu. Ce dernier se demandait si Poussin n’était pas de ces « libertins, difficiles à déceler ». Au gré des commandes venues d’un cercle d’intimes, le peintre s’attacha dans son œuvre à deux grands cycles, Jésus et Moïse (pour résumer le sens de l’exposition : c’est pareil). Mais de sa vie spirituelle, on sait peu de chose, sinon qu’il conduisit une existence sobre. L’historien britannique Anthony Blunt voyait en lui « le plus pur exemple d’un chrétien stoïcien ». Dans un ouvrage qui vient de paraître, Olivier Bonfait souligne ses liens avec les milieux jansénistes et protestants et un graveur aussi indépendant d’esprit que Jean Pesne. Il pense ainsi le peintre politiquement « plus proche de l’idéologie de Port Royal que des fastes de la cour ».

Il n’était certes pas un militant catholique, penchant plutôt vers le sage scepticisme d’un Montaigne. Pour Alain Mérot, qui vient de publier une lumineuse monographie, « il a sa religion ».
Jacques Thuillier, quant à lui, reconnaissait l’impossibilité de mesurer sa dévotion. Mais il ne pouvait s’empêcher de noter l’absence dans ses écrits des mots de Dieu, l’au-delà ou même la Providence, auquel le peintre préférait celui de Fortune. « La grâce semble bien absente de son œuvre », en concluait-il, paraphrasant Delacroix. Il poursuivait cependant : « La quête spirituelle pousse beaucoup plus loin que la foi », ce qui permet à Poussin « de faire des tableaux d’un contenu religieux plus profond qu’un peintre croyant ». Sainte colère de Marc Fumaroli, pour lequel l’inspiration du plus grand artiste français ne pouvait procéder que « du divin ». Faute de source documentaire, il eut cet argument désespéré : « Poussin a peint les plus beaux tableaux religieux du XVIIe, cela me suffit ! La preuve irréfutable de son sentiment religieux est là ! »

Un Dieu omniprésent
Aujourd’hui, l’Académicien entend bien prendre sa revanche. L’exposition veut ranimer ce débat à partir des nouvelles recherches. Alain Mérot nous avoue trouver la démonstration « assez convaincante ». Il fait référence aux relations nouées par l’artiste avec les Jésuites, peut-être depuis son plus jeune âge, et à la place de la doctrine de saint Augustin. Dans le catalogue, Mickaël Szanto s’attarde ainsi sur le Paysage de tempête avec Pyrame et Thisbé, venu de Francfort, ce drame absurde qui aboutit au suicide de deux amants trompés par leurs emportements. L’auteur voit le peintre « condenser l’ensemble des thèmes qui lui sont chers : l’ordre caché du monde, la Providence divine, le cycle des temps, les tours de la Fortune, les passions aveuglantes, la beauté supérieure de la nature, dont la contemplation conduit vers Dieu… ici Poussin se nourrit de saint Augustin ». On y retrouve en effet ce créateur « capable de jeter l’épouvante et l’effroi au milieu d’une scène champêtre », selon les mots de Diderot.

L’exposition s’emprisonne malheureusement dans son thème, trop étroit, moins subtil que la relation de Poussin à la nature, que sut si bien illustrer Pierre Rosenberg il y a huit ans dans une exposition qui malheureusement ne s’arrêta pas à Paris. Le jeune conservateur du Louvre voit la main de Dieu jusque dans la moindre souche d’arbre, quitte à en oublier la poésie du peintre. Le parcours s’allonge dans l’ennui répétitif de ces ballets ordonnés aux couleurs froides et aux visages figés. Gide disait : « Poussin court le risque d’être masqué par son intelligence ». On entend désormais le canoniser. La section réservée au dessin est particulièrement mal accrochée. Il faut vite se délecter, juste en face, d’une exposition sur « la fabrique des images saintes », qui éclaire de chefs-d’œuvre de la peinture, de dessins, de l’estampe et de la sculpture à Rome et Paris, cette époque de la réforme catholique.

Poussin et Dieu
Commissaires : Nicolas Milovanovic, Mickaël Szanto (Poussin)
Nombre d’œuvres : 99
Scénographie : Catherine Arborati

La Fabrique des Saintes Images
Commissaires : Louis Franck, Philippe Malgouyres
Nombre d’œuvres : 85

Poussin et Dieu et La Fabrique des Saintes Images

Jusqu’au 29 juin, Le Louvre, 99, rue de Rivoli, 75001 Paris, www.louvre.fr,
tlj sauf mardi, 9h-17h30, mercredis et vendredis jusqu’à 21h30, billet jumelé 13 €
catalogue « Poussin et Dieu » coéd. Hazan/Musée du Louvre Éditions, 385 p., 45 € et catalogue de « La Favrique des sainte images » coéd. Somogy éditions d’art/Musée du Louvre éditions, 288 p., 35 €.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°434 du 24 avril 2015, avec le titre suivant : Poussin canonisé

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque