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Suzanne Lafont et l’image-mouvement

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 7 avril 2015 - 695 mots

Le Carré d’art à Nîmes déroule une exposition portée, parmi d’autres
questionnements sur l’image, par des jeux d’indices.

NÎMES - Pour visiter l’exposition de Suzanne Lafont proposée à Nîmes par le Carré d’art-Musée d’art contemporain, le visiteur peut avant d’y pénétrer se munir du catalogue qui l’accompagne. La première double page reproduit une banale photo de façades dans une rue de São Paulo, tandis que sur la dernière, les mêmes lieux vus sous une lumière différente laissent apparaître deux femmes, ainsi qu’un sac d’ordures et une moto. Avec ce commentaire entre les deux : « La main qui ouvre le livre replace les aiguilles de cette horloge imaginaire dans le temps réel de la lecture. »

Cette insertion discrète met l’accent sur la subtilité avec laquelle l’artiste a fait du temps de l’image et du temps dans l’image la matrice d’une œuvre rétive au classement et qui défie les conventions de la photographie. Une œuvre libre et inspirée que l’on n’avait plus vue dans un dispositif d’ampleur depuis l’exposition au Jeu de paume, à Paris, en 1992,  et la prestation à la Documenta X à Cassel en 1997.

Le temps, donc, comme marqueur d’une pratique dont la nature initiale a été caractérisée par son arrêt. C’est en effet son intérêt pour le cinéma et une volonté d’interroger cette discipline qui, dans les années 1980, a conduit l’artiste à travailler l’image fixe ; « le temps fonctionne à partir de variations dans l’image et dans la séquence, je m’intéresse donc autant à Muybridge qu’à Marey », relève-t-elle. Dès avant l’entrée dans les salles, un indice est donné, avec trois images sous forme d’affiches figurant un jeune homme (Sans titre, 2006). L’une, en pied, apparaît légèrement floutée et semble le dédoubler. Les autres, des portraits plus serrés a priori identiques, proposent en fait de subtiles variations, pointant l’écoulement du temps.

Influence de la performance
Le mouvement, on le retrouve dans une installation récente, des photos de chaises adoptant des « postures » différentes, comme lancées dans une chorégraphie tandis qu’un écran plasma indique le temps réel et donne l’heure par tranche de trente minutes. Cette sarabande de chaises, a contrario de leur usage révélé par un titre non dénué d’humour, On annonce une série de conférences (2015), insiste sur cet autre ressort de l’œuvre qu’est l’acte performé, hérité d’une fréquentation avec le Judson Dance Theater, à New York dans les années 1960.

La performance, le visiteur en relève à nouveau la trace dans une belle série photographique pour laquelle des étudiants de l’artiste reprennent le geste d’attraper leur visage en passant le bras derrière la tête. Un geste immortalisé en 1971 par General Idea dans un livret intitulé Manipulating the Self, où 99 protagonistes s’étaient livrés à l’expérience. Ici figurent également 99 images, mais, sur le constat qu’il n’était pas intéressant de tout refaire et que le vide apportait une meilleure lisibilité, beaucoup sont vierges, ou plutôt colorées par des teintes provenant d’un nuancier, et ne mentionnent que les noms de la personne de la série originale et de l’étudiant qui aurait dû se livrer à l’exercice (Situation Comedy, 2009).

C’est que, en dépit de la rigueur formelle et conceptuelle de sa pratique, Suzanne Lafont s’amuse en inventant des dispositifs dont le fond narratif va rester très ouvert, manière de laisser s’agréger les interprétations possibles, voire de laisser planer le doute.

Car le caractère énigmatique de certaines œuvres est saillant, qui parfois invitent le spectateur à s’en saisir afin de mieux recomposer lui-même un récit. Comme dans Le Nouveau Mystère de Marie Roget (2015), où, sur la base d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe et à l’aide de deux projections juxtaposées faites d’images superposées, se déroule une sorte d’enquête policière… qui n’en est pas vraiment une. Dans un essai du catalogue, Marcella Lista l’a bien saisi, précisant que « la qualité d’énigme et de suspens qui ressort de l’œuvre de Suzanne Lafont tient à cette mise en tension des espaces et des rôles que produisent ses images. La présence humaine est toujours performée, non vériste. » Ou comment revenir à des préoccupations liées au temps et à la performance, toujours.

Suzanne Lafont

Commissaire : Jean-Marc Prévost
Nombre d’œuvres : 8

SUZANNE LAFONT. SITUATIONS

Jusqu’au 26 avril, Carré d’art-Musée d’art contemporain, place de la Maison-Carrée, 30000 Nîmes
tél. 04 66 76 35 70
carreartmusee.nimes.fr
tlj sauf lundi 10h-18h, entrée 5 €.
Catalogue, 192 p., coéd. Carré d’art/Bernard Chauveau Éditeur, 27 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°433 du 10 avril 2015, avec le titre suivant : Suzanne Lafont et l’image-mouvement

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