Rite

L’ésotérisme dans le judaïsme

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 7 avril 2015 - 609 mots

Le monothéisme juif a su s’accommoder de pratiques relevant de la magie et de la superstition, comme en témoigne le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme.

PARIS - Si chaque religion a ses petites superstitions populaires, le judaïsme a la particularité d’être traversé par un système complexe de croyances et de rituels magiques qui, pour certains, remontent à l’Antiquité. Habitué à dévoiler les facettes plus convenues ou classiques des cultures juives, le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, à Paris, a choisi d’explorer la « kabbale pratique », ce pendant inattendu car irrationnel d’une religion monothéiste et raisonnée. « Magie. Anges et démons dans la tradition juive » lève le voile sur une cosmogonie peuplée d’anges terribles, d’anges médecins et de démons en tous genres, qui sont accompagnés de l’attirail nécessaire pour leur rendre hommage ou s’en protéger.

Strictement interdit par la Torah, le recours à la magie et à la divination est parvenu à intégrer la tradition par le biais de pratiques que le Livre ne prohibait pas de manière explicite. Dès lors que ces activités furent encadrées et placées sous l’égide de prophètes et de prêtres, puis de rabbins et de kabbalistes, elles furent tolérées. Avec le temps, l’indulgence gagna du terrain, et même le Talmud de Babylone renferme différentes recettes et formules magiques à des fins principalement médicales.
Dès le sixième siècle avant Jésus-Christ, on rencontre les premières traces de ces croyances sous la forme d’amulettes en argent portant des inscriptions sacrées auxquelles on attribuait des vertus apotropaïques (protectrices). Au cours des premiers siècles de l’ère chrétienne, cet intérêt pour des croyances parallèles se généralise et gagne en ampleur avec la conquête musulmane et l’adoption de la langue arabe (et donc de pratiques culturelles associées) dans les milieux juifs. À la faveur des siècles et des échanges religieux, la « kabbale pratique » et ses innombrables rites sont acceptés dès l’instant où ils visent à remédier à des inquiétudes légitimes telles la santé et la sécurité des êtres chers, l’amour et la fertilité.

La démone Lilit
L’exposition parisienne bénéficie des dernières recherches menées par le commissaire Gideon Bohak, enseignant à l’université de Tel-Aviv, qui a considéré le sujet dans sa globalité : magie élitiste perpétuée dans les écrits par des savants, et magie populaire transmise le plus souvent de mère en fille. Quinze siècles de tradition sont ici déroulés au travers d’objets (amulettes, bijoux, bols incantatoires, broderies…) et de documents provenant d’Israël, du reste du Moyen-Orient et d’Europe. Dans cette plongée dans un monde complexe, le visiteur fera par exemple la connaissance de la démone Lilit, dont la silhouette orne les bols incantatoires, les amulettes en parchemin enroulés dans des étuis en cuir ou encore les pendentifs-amulettes censés protéger les mères et les enfants qu’elle menace de ses pouvoirs maléfiques. Parmi tous ces colifichets, l’un des plus précieux est aussi le moins spectaculaire, puisqu’il s’agit des restes d’un collier d’amulettes porté par un enfant jeté dans une fosse commune proche d’une nécropole juive médiévale de Catalogne. Cette trouvaille récente trahit le non-respect des rites funéraires juifs par une inhumation opérée à la suite d’un massacre de masse dans la juiverie de Tàrrega en 1348 – l’austérité des funérailles juives interdit toute parure. Que dire en effet du pouvoir de protection de ce collier comportant dix amulettes au moins (argent, jais, corail, cristal de roche, verre fumé…) devant le sort réservé à cet enfant et ses proches soupçonnés d’être responsables de la peste noire ?

Magie

Commissaires : Gideon Bohak, département d’Études juives, université de Tel-Aviv ; Anne Hélène Hoog, Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, avec le concours de Dorota Sniezek, Mahj
Scénographie : Nathalie Crinière, agence nc

Magie. Anges et démons dans la tradition juive

Jusqu’au 28 juin
Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, hôtel de Saint-Aignan, 71, rue du Temple, 75003 Paris
tél. 01 53 01 86 65
www.mahj.org
tlj, 11h-18h le lundi, mardi, jeudi et vendredi, 11h-21h le mercredi, 10h-19h le dimanche, entrée 7 €.
Catalogue, coéd. Mahj/Flammarion, 176 p., 32€.

Légende photo
Pendentif-amulette, Maroc, vers 1900, collection Gross, Tel Aviv. © Tel Aviv, collection famille Gross.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°433 du 10 avril 2015, avec le titre suivant : L’ésotérisme dans le judaïsme

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque