Renaissance

L’Empire ottoman, entre peurs et réalités

Le Journal des Arts

Le 7 avril 2015 - 662 mots

À Bruxelles, une riche exposition met en lumière les rapports complexes entre Orient et Occident, depuis la chute de Constantinople jusqu’à l’orée du XVIIe siècle.

BRUXELLES - 1453 : les cours européennes tremblent sur leurs bases : Constantinople vient de tomber aux mains des « Turcs ». Jusqu’à la signature du traité de paix de Zsitvatorok en 1606, l’Empire ottoman se construit et s’étend très rapidement autour de la Méditerranée et jusqu’au nord de la mer Noire. À l’orée du XVIIe siècle, la Sublime Porte est devenue un interlocuteur incontournable dans le jeu diplomatique européen. Entre-temps, entre peur et fascination, réalité et fantaisie, le sultan et sa cour attisent la curiosité des artistes, la crainte des peuples européens.

À Bozar à Bruxelles, « L’empire du sultan » revient sur ces années où les artistes de la Renaissance s’emparent de l’imaginaire turc et expriment un regard beaucoup plus complexe qu’un antagonisme primaire. Plusieurs expositions étaient déjà revenues sur les liens entre Florence, Venise ou le Saint-Empire romain germanique et Istanbul. La présente manifestation porte un regard plus général en englobant également des œuvres venues de Pologne-Lituanie, de Bohême et de Hongrie, en collaboration avec le Musée national de Cracovie.

Le discours est riche en informations et données historiques, égrenant au fil du parcours les batailles et les guerres qui bouleversent la cartographie européenne aux XVe et XVIe siècles. Durant cette période d’insécurité, le « Turc » devient un outil de propagande aussi bien pour les têtes couronnées que pour la Réforme et l’Église catholique, qui s’affrontent sur le terrain de la propagande.
En 1496, Albrecht Dürer conçoit son recueil de l’Apocalypse, et grave Le Martyre de saint Jean l’Évangéliste (Bruxelles) : il multiplie le type oriental ceint du fameux turban qui remplace la cuirasse romaine, image de la cruauté et de la menace contre la chrétienté. La progression ottomane sert de repoussoir à la Papauté, qui soutient une extrême fermeté contre les « mécréants ». À l’inverse, les partisans de la Réforme aux Pays-Bas se rallient à la devise « Plutôt les Turcs que les papistes » et portent des insignes en forme de croissant.

Transferts culturels dans les deux sens
Tout au long du XVIe siècle, diplomates, voyageurs et prisonniers transitent par Istanbul. À la faveur de l’essor de l’imprimerie, l’Occident apprend les us et coutumes des Ottomans et leur cadre de vie, l’architecture composite d’Istanbul. Après le temps des fantasmes, la curiosité et l’esprit de découverte favorisent les transferts culturels dans les deux sens.

Les costumes flamboyants et exotiques fascinent : les soieries ottomanes deviennent des présents royaux, comme le souligne un Portrait de l’Empereur du Saint-Empire Mathias en roi de Bohême (1611, Prague) : exposés à ses côtés, les restes de son costume conservés aujourd’hui dans une église de Suède impressionnent par l’extrême finesse de leur facture.

Les sultans ne sont pas en reste : reprenant d’abord le portrait type des empereurs byzantins qu’ils viennent de déposer, ils profitent des liens commerciaux avec l’Italie pour se faire représenter par la fine fleur des artistes florentins et vénitiens. Au célèbre Portrait de Mehmet II (Londres, National Gallery) peint par Gentile Bellini en 1480 sur une demande du sultan à Venise, répond un siècle plus tard une magnifique série de portraits dynastiques de sultans commandée par le vizir Mehmed Pacha à Véronèse et son atelier vers 1570 et conservés aujourd’hui à Munich.

Il faudrait encore évoquer l’image de Roxelane la Rousse, l’épouse de Soliman Ier qui fascinera les artistes, l’apport des Ottomans aux sciences et aux mesures, célébré dans la production d’instruments de mesure finement travaillées aux motifs orientaux, les fêtes courtoises qui intègrent des personnages ottomans dans leurs scénarios…

Les œuvres choisies, gravures, peintures, objets d’art et d’orfèvrerie, venues de toute l’Europe, témoignent de l’apport global de l’Empire ottoman dans les arts de la Renaissance. Des siècles marquants pour l’Europe, aux enjeux pourtant si contemporains.

L’empire du sultan

Commissariat : Dr Guido Messling, Dr Robert Born, Michal Dziewulski
Nombre d’œuvres : env. 170

L’empire du sultan, le monde ottoman dans l’art de la renaissance

Jusqu’au 31 mai, Palais des beaux-arts, 23 rue Ravenstein, Bruxelles, Belgique
32 2 507 82 00
www.bozar.be
tlj sauf lundi, 10h-18h, 10h-21h le jeudi, entrée 12 €
Catalogue, coéd. Lannoo/Bozar Books, 296 p., 49 €.

Légende Photo :
Atelier de Titien, La Sultana Rossa, huile sur bois, The John and Mable Ringling Museum of Art, Sarasota. © The John and Mable Ringling Museum of Art, The State Art Museum of Florida, Florida State University, Sarasota, Florida.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°433 du 10 avril 2015, avec le titre suivant : L’Empire ottoman, entre peurs et réalités

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