Patrimoine

L’impuissance face aux exactions de Daech

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 25 mars 2015 - 744 mots

Après la Syrie, l’État islamique s’attaque depuis un mois au patrimoine irakien. Les dommages sont difficiles à évaluer et la prévention relève de l’impossible.

PARIS - Mercredi 18 mars, au moment où une vingtaine de touristes étrangers tombaient sous les tirs des terroristes de Daech au Musée du Bardo à Tunis, François Hollande visitait le département des Arts de l’Islam au Musée du Louvre, en compagnie de la directrice générale de l’Unesco Irina Bokova. L’occasion pour le président d’annoncer plusieurs mesures de soutien en faveur de l’Irak et de la Syrie.

Depuis le 26 février, le califat sunnite radical autoproclamé Daech, ou État islamique, multiplie les actions de vandalisme sur le patrimoine préislamique dans la province de Ninive (nord de l’Irak) placée sous son contrôle. Les images du saccage à la masse des collections assyriennes et hellénistiques du Musée de Mossoul et de la destruction au perforateur d’un taureau ailé assyrien en granit, sur le site archéologique de la porte de Nergal à Mossoul, ont fait le tour du monde. Début mars, les sites de Nimroud (XIIIe siècle av. J.-C.), Hatra (IIe siècle av. J.-C.) et Khorsabad (VIIe siècle av. J.-C.) étaient également pris pour cible, sans qu’aucune image n’ait cependant filtré. Pour la directrice générale de l’Unesco, le verdict est sans appel : en vertu des statuts de Rome de la Cour pénale internationale, « la destruction délibérée du patrimoine culturel est un crime de guerre ».
Irina Bokova cherche à mobiliser les bonnes volontés dont celle de la Cour pénale internationale, à qui elle a demandé « l’ouverture d’une enquête » afin de « sanctionner les criminels », et celle des Nations unies – depuis le 12 février, la résolution 2199 du Conseil de sécurité interdit tout commerce de pièces archéologiques venues d’Irak et de Syrie. De son côté, la France se propose de former des archéologues irakiens et de numériser les archives des fouilles françaises, tandis que le Musée du Louvre propose d’envoyer une mission pour évaluer les dégâts.

Une estimation par images satellite

Mais face à ces déclarations, il est difficile de connaître exactement la situation : se rendre dans ces zones contrôlées par Daech est impossible et les habitants qui ont lancé l’alerte ont été sanctionnés. Les images de satellites ou de drones sont cependant une solution possible. Nada Al-Hassan, chef d’unité Arab States à l’Unesco, nous a indiqué avoir observé les images satellites de Nimroud et Hatra fournies par Unitar, l’institut pour la formation et la recherche des Nations unies. D’après ces images, les sites montreraient des traces de dommages limités. Quoique rassurantes, ces vues du ciel n’excluent pas que des bas-reliefs aient été arrachés en vue de les écouler sur le marché. Khorsabad ne figurant pas sur la liste du patrimoine mondial, les images du site se font attendre. « Pourquoi Daech, qui médiatise ses actions avec brio, n’a pas diffusé d’images de ces saccages ? » s’interroge Samir Abdulac, secrétaire général de l’Icomos (Conseil international des monuments et de sites). Les attaques menées à l’explosif et au bulldozer n’auraient-elles pas été suffisamment spectaculaires ? La perte du potentiel commercial des pièces filmées et donc identifiables est une autre explication.
Les mesures préventives se révèlent tout aussi délicates. Si quelque 1 500 objets assyriens du Musée de Mossoul mis à l’abri en 2003 au Musée de Bagdad ont échappé au carnage, la protection des sites archéologiques est mission impossible. La Syrie en compte 10 000 et l’Irak 15 000, dont 1 700 seraient sous contrôle de Daech. « En sécuriser quelques-uns rendrait les autres forcément plus vulnérables », analyse Samir Abdulac. Le ministre irakien du Tourisme et des Antiquités Adel Fahd Al-Cherchab a lancé un appel aux forces aériennes américaines, présentes dans quatre camps d’entraînement gérés par une coalition internationale, dont celui d’Erbil situé à 90 km à l’est de Mossoul. Questionnée sur l’inaction de ses troupes, le Commandant Elissa Smith, porte-parole du ministère américain de la Défense, nous a précisé que la mission sur place se borne au soutien des soldats irakiens : « Contrairement à Daech, la coalition prend soin d’assurer que les frappes aériennes sont menées de manière à minimiser les risques potentiels sur les sites d’importance historique, culturelle ou religieuse. Chaque bombé lâchée en Irak l’est en coordination avec les Irakiens. » La protection de la population et la neutralisation de l’État islamique sont la priorité des forces qui tentent de regagner les territoires perdus. C’est l’unique solution pour préserver le patrimoine irakien.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°432 du 27 mars 2015, avec le titre suivant : L’impuissance face aux exactions de Daech

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