Définition

Au-delà des frontières de l’art

Par Pauline Vidal · Le Journal des Arts

Le 24 mars 2015 - 534 mots

Le Palais de Tokyo ouvre ses portes à de troublantes créations qui échappent au territoire balisé du monde de l’art.

PARIS - C’est à une bien étrange pratique méditative que s’adonne l’Américaine Bridget Polk. Une pratique qui consiste à créer d’improbables équilibres entre les blocs de pierres qu’elle trouve au hasard de sa route. Soumises à la loi de la gravité, les installations précaires qui en résultent sont vouées à l’effondrement. Qu’à cela ne tienne, elle les remontent inlassablement avec le plus grand calme. On pourrait repérer là quelques affinités avec certains artistes du land art. Mais dès lors qu’on interroge l’instigatrice de ce travail – qu’elle pratique en marge de son métier de charpentière – pour savoir si elle se considère comme artiste, cette dernière semble troublée par la question. Car comme la vingtaine d’artistes présentés actuellement au Palais de Tokyo dans l’exposition intitulée « Le bord des mondes », elle n’appartient pas aux territoires balisés de l’art. Et tel est l’objectif que s’est fixé la commissaire de l’exposition, Rebecca Lamarche-Vadel. Aller voir ailleurs, explorer les interstices, remettre en cause une modernité qui a cloisonné les gestes et les pratiques. Durant deux ans, elle a donc arpenté divers lieux et magazines comme les revues smithoniennes pour trouver les créateurs qu’elle présente aujourd’hui. Des créateurs qui nous donnent à penser !

Créations visionnaires
« Peut-on faire des œuvres qui ne soient pas d’art ? » se demandait Marcel Duchamp, chantre du brouillage des frontières entre art et non-art. Ses ready-mades questionnent à la fois le statut de l’œuvre et celui du spectateur. « Mais là où je m’éloigne de Duchamp précise la commissaire, c’est que je suis convaincue que la recherche de ces créateurs est indépendante. Ces œuvres ont moins besoin de nous pour exister que nous avons besoin d’elles. » Et de poursuivre, « cette exposition se veut un aveu d’humilité par rapport à des formes d’art qui sont indépendantes et libres. »
Au final, les œuvres présentées ne sont pas toutes de la même volée. Mais on trouvera sur notre chemin des pépites comme une cartographie de « terrains émotionnels » dressée par l’Américaine Rose-Lynn Fisher à partir de prises vues macroscopiques de larmes, ou un « attrape-nuages » (« Atrapanieblas ») imaginé dans les années 1960 par le physicien chilien Carlos Espinosa pour recourir aux problèmes de sécheresse dans le désert de l’Atacama. Le Hollandais Theo Jansen présente, quant à lui, une de ses étranges créatures monumentales qu’il fabrique depuis vingt ans pour la plage de Scheveningen ; tandis que l’Argentin Tomàs Saraceno, architecte de formation et fasciné par les systèmes environnementaux et biologiques, nous plonge dans un paysage onirique de toiles d’araignées entremêlées. Pour aller à la rencontre de ces inventeurs, la commissaire ne voulait pas de parcours établi. Il revient donc au visiteur d’inventer sa propre déambulation à travers la scénographie de Stéphane Maupin et Nicolas Hugon qui, à l’aide d’immenses failles horizontales dans les cimaises, permet d’apercevoir les œuvres avant d’y accéder. Ce qui fonctionne plutôt bien et ménage de belles échappées. N’en demeure pas moins délicate une tendance à la muséification de certaines œuvres qui se trouvent figées dans un cadre qui ne semble pas être le leur.

Le bord des mondes

Jusqu’au 17 mai, au Palais de Tokyo, 13, avenue du Président Wilson, 75116 Paris
tous les jours sauf le mardi, 12h-minuit, entrée 10 €

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°432 du 27 mars 2015, avec le titre suivant : Au-delà des frontières de l’art

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