Lawrence Wong : « Singapour ne peut se réduire à sa seule réussite »

Le ministre de la Culture, de la Communauté et de la Jeunesse de Singapour Lawrence Wong décrit les ambitions de la cité-Etat.

À l’occasion du Festival Singapour en France qui débute le 26 mars à Paris, le ministre Lawrence Wong précise les ambitions culturelles de la cité-État. Cet entretien a été réalisé avant le décès le 22 mars de Lee Kuan Ye, le premier chef du gouvernement de Singapour en 1959, année où la cité-Etat s’est affranchie de la tutelle britannique. Aussi il est possible que Laurence Wong annule son déplacement en France.

En 2000, Singapour lançait le plan « Renaissance de la ville » qui avait pour objectif de faire de Singapour une « ville globale des arts » en 2015. Avez-vous atteint votre objectif ?
Je ne dirai jamais que nous sommes arrivés à destination, car nous devons toujours essayer de mieux faire. Nous avons adopté une nouvelle feuille de route à horizon 2025 qui a pour objectif de rendre l’art et la culture plus présents dans la société. Nous voulons que l’art fasse davantage partie du quotidien des Singapouriens, qu’il soit accessible pour tous et partout. Parmi les mesures adoptées pour renforcer cette accessibilité, il y a par exemple la gratuité des musées nationaux pour les Singapouriens et les résidents permanents. Au-delà de l’accessibilité, nous voulons encourager l’excellence dans les pratiques artistiques.

Le budget pour l’année 2015 a été adopté il y a peu. Quels sont les moyens dont dispose votre ministère ?

Depuis 2005, le budget consacré à l’art et à la culture a été multiplié par trois passant de 154 millions d’euros à près de 470 millions d’euros soit 0,2 % du PIB. Pour l’année 2015, 535 millions d’euros seront alloués à l’art et à la culture. Nous allons continuer d’augmenter ce budget autant que nous le pourrons, mais nous souhaitons également voir le secteur privé s’engager à nos côtés. J’ai par exemple mis en place un fonds, le « culture matching fund » doté de 135 millions d’euros pour stimuler les donations privées. Le principe est simple : pour chaque dollar versé par le secteur privé, le fonds injecte la même somme. Nous sommes convaincus que l’État ne doit pas être le seul investisseur dans l’art et la culture. Ce n’est pas une question de moyens, mais les acteurs privés doivent aussi s’engager pour participer au dynamisme de la scène artistique. Pour nos institutions, je pense qu’il est essentiel qu’elles ne reposent pas uniquement sur le soutien de l’État et qu’elles soient incitées à lever des fonds auprès du secteur privé également.

Considérez-vous la culture comme un secteur économique comme un autre ?
La culture ne contribue qu’à 0,2 % du PIB et emploie 25 000 personnes, soit moins d’1 % de la masse salariale, donc en terme économique strict, la culture n’est pas une priorité. En revanche en investissant dans l’art et la culture, nous souhaitons encourager la créativité, l’innovation, un sens esthétique. Autant de qualités qui sont essentielles dans de nombreux secteurs de l’économie.

Le Festival Singapour en France s’ouvre le 26 mars. Durant trois mois, le public français va découvrir la culture contemporaine de Singapour. Est-ce que l’art et la culture permettent de montrer une autre image de la cité-Etat ?
Le Festival Singapour en France est important pour deux raisons. D’une part, il donne l’opportunité à nos artistes d’être exposés en France et d’avoir une visibilité internationale, car le marché singapourien est trop petit. D’autre part, je pense qu’à travers ce festival, nous allons montrer une autre facette de Singapour. Nous savons que Singapour est associée à la réussite économique, à un centre d’affaires efficace. C’est une réalité indéniable, mais nous avons davantage à montrer et à raconter. Nous sommes une société d’immigrants venus de différents pays d’Asie et en cinquante ans nous avons réussi à créer une identité singapourienne propre. C’est cette histoire que nous voulons exprimer à travers différentes pratiques artistiques. Nous allons dire haut et fort, que nous avons une culture singapourienne propre, forte de ses racines asiatiques. Nous sommes fiers et conscients de la difficulté de préserver notre identité dans un monde globalisé et c’est pour cela que nous tâchons de préserver aussi notre culture traditionnelle. Nous avons vraiment à cœur de montrer que Singapour ne peut se réduire à sa seule réussite économique.

Singapour et la France fêtent 50 ans de relations diplomatiques. Sur le plan culturel, quelle est la nature de la coopération entre nos deux pays. Vous effectuez une visite de trois jours en France, quel est votre programme ?

Nous avons une coopération très dense entre nos deux pays comme en témoigne le festival Singapour en France. Mais nous avons différentes collaborations avec des institutions comme le Centre Pompidou ou le Musée d’Orsay. Entre dix et vingt artistes venus de France sont invités chaque année à Singapour et réciproquement pour les artistes singapouriens. Vous savez, nous admirons la façon dont la France traite l’art et les artistes. C’est vraiment un état d’esprit dont nous voulons nous inspirer. Quant à mon déplacement, j’irai à l’Unesco défendre la candidature du Jardin botanique pour l’inscription sur la liste du Patrimoine mondiale. Sur le plan bilatéral, je m’entretiendrai bien entendu avec mon homologue Fleur Pellerin que je vais rencontrer pour la première fois. J’ai également un riche programme de visites, le Musée Picasso ou encore l’aile du Musée du Louvre dédiée aux arts de l’Islam. Je compte à travers mes rencontres et visites ouvrir de nombreuses portes pour nos artistes et nos institutions.

2015, c’est une année riche pour Singapour. Au mois de novembre sera inaugurée la National Gallery consacrée à l’art moderne d’Asie du Sud-Est. Quelle est votre stratégie pour enrichir vos collections ?
Il y a deux ans, j’ai débloqué près de 42 millions d’euros supplémentaires sur une période de cinq ans pour aider les musées à développer leurs collections. Nous ne souhaitons pas révéler le montant attribué pour chaque musée afin de ne pas perturber la relation entre l’institution et le vendeur. Cela n’aiderait sûrement pas à la négociation ! Là encore, je pense que renforcer nos collections ne doit pas passer uniquement sur les acquisitions, nous comptons également sur les prêts à court ou long terme des musées de la région, ainsi que sur les collectionneurs privés qui sont nombreux à Singapour.

Singapour affiche clairement ses ambitions de devenir le carrefour artistique de l’Asie du Sud-Est, quel rôle l’art peut-il jouer pour fédérer cette région du monde ?
2015, c’est l’année de la mise en place de la communauté économique de l’Asean, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est. L’intégration régionale en Asie du Sud-Est se fait principalement par l’économie, le commerce et les investissements. Mais Singapour s’intéresse également à l’ASEAN du point de vue culturel et social. Cette région, contrairement à l’Europe, demeure un vaste ensemble disparate. Nous avons des langues, des cultures, des histoires très différentes, mais je pense qu’à travers l’art et la culture, nous pourrons développer une identité régionale. Cet ancrage régional est fondamental pour Singapour car pour constituer une identité forte, nous devons savoir quelle est notre place dans le monde. Et notre place est précisément en Asie du Sud-Est. Singapour a un rôle à jouer pour renforcer les institutions dans la région, développer les échanges non seulement entre artistes, mais aussi entre commissaires d’expositions. Il y a de riches traditions artistiques présentes dans cette région et Singapour est la plate-forme idéale pour les mettre en avant.

En Asie, Hongkong occupe une place grandissante sur le marché de l’art. N’avez-vous pas peur d’être éclipsé par cette capitale de l’art en puissance ?

L’Asie est assez grande pour avoir plusieurs centres artistiques. Au-delà de Hongkong ou Singapour, il y a de nombreuses villes d’Asie, en Corée ou en Chine qui aspirent elles aussi à devenir des capitales artistiques. C’est très positif et révélateur du dynamisme de la région. Concernant Hongkong et Singapour, je pense que ces deux villes ont des positionnements différents. Hongkong est naturellement tournée vers la Chine et l’Asie du Nord alors que Singapour est clairement tournée vers l’Asie du Sud-Est.

L’homme d’affaires Yves Bouvier a été arrêté le 25 février à Monaco. Il est le principal actionnaire des ports francs de Genève, mais aussi de Singapour. Ne pensez-vous pas que cette affaire puisse avoir des répercussions à Singapour ?
Je ne veux pas commenter une affaire en cours. En ce qui concerne Singapour, nous souhaitons conserver notre statut d’économie ouverte tout en respectant les réglementations internationales. Sans compromis. À tout moment, si nous pensons que certaines pratiques sont contraires à ces règles, nous diligenterons une enquête.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°432 du 27 mars 2015, avec le titre suivant : Lawrence Wong : « Singapour ne peut se réduire à sa seule réussite »

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque