Disparition

Le chagrin des livres

Par Colin Lemoine · Le Journal des Arts

Le 11 mars 2015 - 450 mots

Directeur des Éditions Hazan, Jean-François Barrielle est mort à l’âge de 63 ans.

Du passé, Jean-François Barrielle ne parlait guère. Non par goût du secret mais par courtoisie. Il préférait écouter les autres, avec cet œil sempiternellement malicieux dans lequel se lisaient tout à la fois de la douceur et de l’acidité, plutôt que de revenir sur ses expériences passées, celles qui en firent un auteur remarqué auprès de La Revue des deux mondes et de L’Estampille ou chez Flammarion (Le Style Directoire, 1981) et ACR (La Vie et l’œuvre de Vincent Van Gogh, 1984).
Si Barrielle aimait tant la période moderne, et notamment l’artiste Henri Mauperché, dont il était spécialiste, c’est qu’il affectionnait les rébus iconographiques, les canevas intellectuels. Nul hasard donc à le voir publier Daniel Arasse et Yves Bonnefoy lorsque, en 1987, il devint responsable du département des livres d’art de Flammarion, deux ans seulement après avoir intégré le service littéraire de la vénérable institution.

Images et idées
À Flammarion, où il resta onze années, jusqu’en 1998, Jean-François Barrielle créa des collections majeures, devenues iconiques, comme « Tout l’art » et « L’ABCdaire ». Son érudition n’était pas aristocratique, il veillait à partager, misait sur la divulgation, ainsi que l’atteste, à compter de sa nomination en tant que directeur général des Éditions Hazan, filiale du groupe Hachette, la coexistence de monographies océaniques (Herri Met de Bles, de Michel Weemans, 2013, prix Montherlant de l’Académie des beaux-arts 2014) et d’ouvrages savants (L’Imaginaire des grottes dans les jardins européens, par Hervé Brunon et Monique Mosser, 2014), de catalogues précieux, coédités avec le Louvre ou le Musée des beaux-arts de Lyon, et des fameux « Guides des arts », dont la tranche bleue peuple toutes les bibliothèques publiques et domestiques.
Barrielle soignait ses auteurs et ses livres. Il échangeait inlassablement avec les premiers et s’attristait que les seconds, parfois, ne rencontrassent pas toujours leurs lecteurs. De sa voix joliment timbrée, il vitupérait volontiers contre la loi du chiffre, contre le conformisme éditorial, contre les aiguilles déréglées, lui qui aimait avoir le temps – de tourner les pages, de biffer des lignes, de déjeuner avec ses amis.

Les mots de Baudelaire sur Manet, les prémonitions de Warburg : Jean-François Barrielle savait discuter. Il aimait infiniment les œuvres, et peut-être plus encore, les idées. Ses yeux plissés et son front haut trahissaient une fréquentation éprouvée des lettres et des images, qu’il pouvait décortiquer avec une faculté et une facilité non dépourvues d’humour.
La maladie qui le rongeait depuis des mois n’avait pas entamé son énergie, ni ses désirs. Ses yeux et ses idées s’étaient éclaircis. Il voyait encore plus loin. Avec lui meurt une certaine idée du métier, pleine d’exigence et de courage.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°431 du 13 mars 2015, avec le titre suivant : Le chagrin des livres

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