Art contemporain

Rétrospective

L’œuvre métissée de Télémaque

Le Centre Pompidou met en lumière l’éclectisme de l’artiste d’origine haïtienne au travers d’un parcours commençant en 1959 à New York et se poursuivant jusqu’à nos jours.

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 10 mars 2015 - 773 mots

Le Centre Pompidou offre à l’artiste franco-haïtien une rétrospective couvrant plus d’une cinquantaine d’années d’un travail commencé aux États-Unis et poursuivi en France. De ses peintures abstraites des débuts aux assemblages récents en passant par d’étonnants fusains, la pratique éclectique de ce représentant de la Figuration narrative est abordée sous tous ses aspects.

PARIS - L’affiche de l’exposition du Centre Pompidou n’est pas choisie par hasard. Un slip vert et un slip blanc cachent partiellement un visage noir, à l’œil pétillant, la langue rouge bien pendue. Petit célibataire un peu nègre et assez joyeux (1965) dit le titre. Outre le côté gentiment provocateur et séduisant de cette étonnante cohabitation, l’œuvre et son intitulé se prêtent à l’interprétation quand on connaît la biographie et le trajet artistique de son auteur, Hervé Télémaque, né en 1937 à Port-au-Prince (Haïti). On pourrait même y voir en quelque sorte un autoportrait allusif car l’artiste est « un peu nègre ». Un peu, suffisamment pour sentir le besoin de réagir aux stéréotypes raciaux collés à la peau de cette minorité. En effet, l’expression de ce visage rappelle la publicité légendaire « Y’a bon, Banania » et les slips sont une allusion explicite à la sexualité débridée de ce « petit célibataire ». Joyeux toutefois, car après quelques années passées aux États-Unis, où il a pratiqué une peinture abstraite – quelques toiles de cette période sont montrées à l’entrée de l’exposition –, Télémaque quitte ce pays à cause de ce qu’il ressent comme un racisme ambiant.

Imagiers énigmatiques
En s’installant à Paris, il retrouve à la fois la langue française et une communauté d’artistes latino-américains (Julio Le Parc, Carlos Cruz-Díez). Mais surtout, en 1965 sa carrière est bien lancée. Non seulement il a déjà eu droit à quelques expositions personnelles, mais il est, une année plus tôt, avec Bernard Rancillac, à l’origine d’une manifestation qui va entrer dans les annales de l’histoire de l’art : « Mythologies quotidiennes ». Sous ce titre emprunté à Roland Barthes, les deux artistes, conjointement avec le critique Gérald Gassiot-Talabot, réunissent au Musée d’art moderne de la Ville de Paris de nombreux créateurs qui formeront par la suite le groupe « Figuration narrative ».
Télémaque participe à cette réaction contre l’hégémonie du pop art, mais à sa façon. Au lieu de raconter des histoires, il distribue plutôt des indices qui laissent le spectateur sur sa faim. Objets familiers, pièces de vêtement, meubles, outils, sont souvent tirés des magazines populaires et transformés en signes. Ainsi, avec Voir Elle, 1964, qui s’inspire directement d’un fameux journal féminin, des « choses » dispersées sur la surface forment un bric-à-brac faisant songer à un catalogue universel et absurde ou à la liste d’un commissaire-priseur touche-à-tout fantaisiste. Ces imagiers énigmatiques, qui frôlent l’esprit surréaliste – Télémaque est en relation avec André Breton et peint deux toiles en hommage à Magritte –, sont devenus la marque de fabrique de l’artiste haïtien et font parfois oublier le reste de sa production plastique.

« Coloris inédits »
La rétrospective du Centre Pompidou donne également accès aux autres périodes de ce plasticien ainsi qu’aux diverses techniques qu’il emploie. De fait, dans les années 1960, Télémaque pratique sa version du combine painting de Robert Rauschenberg, en introduisant des ready-made, plus ou moins usés, dans ses œuvres (Pesanteur, 1966). Le travail sur le volume se prolonge avec les Sculptures maigres (1968), des totems phalliques étranges et agressifs. Puis ce sont des collages parfaitement découpés, dont les contours nets et la couleur en aplats, l’épaisseur limitée, annoncent le retour à la peinture. La peinture mais aussi le dessin car Télémaque, qui fait entrer dans ses collages des dessins préparatoires, réalise une splendide série de fusains, donnant naissance à « des masses informelles aux coloris inédits », écrit Christian Briend, le commissaire de l’exposition (Chauve-souris IV et la Gonâve, 1994), dans le catalogue. Sombres, les fusains tranchent sur la gamme chromatique éclatante de l’artiste, faite essentiellement de couleurs primaires contrastées.
Pour finir, cerise sur le gâteau ou plutôt marc de café sur le bois. Il s’agit de quelques « ovnis », des assemblages réalisés avec du marc de café coloré et collés sur bois (Coco-fesse et Le Genou clair, tous deux de 1993). Humour ? Sans doute. Mais, si l’on ose dire, humour noir. Les matériaux inédits qui entrent dans la composition de ces œuvres sont liés à l’histoire et à l’économie de la patrie de Télémaque. Le Petit célibataire un peu nègre et assez joyeux n’a pas oublié ses origines.

Télémaque

Commissaire : Christian Briend, conservateur au Musée national d’art moderne
Nombre d’œuvres : 74
Itinérance : Musée Cantini, Marseille (du 19 juin au 20 septembre)

Hervé Télémaque

Jusqu’au 18 mai, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004, Paris
tél. 01 44 78 12 33
www.centrepompidou.fr
tlj sauf mardi 11h-21h, entrée 13 €
Catalogue, coéd. Centre Pompidou/Somogy Éditions d’art, 342 p, 35 €

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°431 du 13 mars 2015, avec le titre suivant : L’œuvre métissée de Télémaque

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