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Le World Press Photo se déjuge

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 10 mars 2015 - 533 mots

Les organisateurs ont retiré son prix à Giovanni Troilo sans remettre en cause le choix du jury.

AMSTERDAM - Il aura fallu trois semaines de polémiques avant que les organisateurs du prestigieux World Press Photo prennent la décision de retirer son prix à Giovanni Troilo, lauréat de la catégorie « Problématiques contemporaines » pour sa série de dix clichés sur Charleroi intitulée « Le cœur noir de l’Europe ». Qu’il fut en effet difficile de remettre en cause la décision du jury présidé par Michele McNally, rédactrice en chef adjointe du quotidien The New York Times ! Lorsque les premières protestations de reporters-photographes dénonçant le recours inavoué de Giovanni Troilo à la mise en scène pour son sujet sont arrivées au siège du prix à Amsterdam, la direction du World Press Photo a botté en touche, engageant les critiques à prendre directement contact avec le photographe italien.
La demande de révision demandée par Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi et ministre-président wallon, s’est elle-même heurtée jusqu’au 2 mars à une fin de non-recevoir de la part des responsables du concours, sourds à « la sérieuse déformation de la réalité qui porte préjudice à la ville de Charleroi et à ses habitants ainsi qu’à la profession de photojournalisme » dénoncée par Paul Magnette. Il aura fallu la pression grandissante des médias et les enquêtes des journalistes pour les amener à revoir leur jugement sur ce prétendu reportage sur l’identité d’une ville.
 
Erreur sur la démarche
La raison aujourd’hui invoquée par le World Press Photo pour justifier du retrait de son prix à Giovanni Troilo, une photo non réalisée à Charleroi contrairement à ce que mentionne sa légende, mais à Bruxelles, n’apaise pas les esprits. Jean-François Leroy, directeur du festival du photojournalisme Visa pour l’image, se dit ainsi « mécontent de la raison donnée. Cela veut dire que l’on ne veut pas voir tout le reste ».

De fait, le communiqué s’inscrit dans la droite ligne de ce que déplorait Lars Boering, directeur du World Press Photo, lors de l’annonce le 12 février des lauréats de la 58e édition. Il mentionnait ainsi « les négligences de certains photographes dans l’édition de leurs photos pour le concours », négligences relevées par le jury qui a récompensé 42 photographes dans 8 catégories.
L’institution ne remet pas en cause le choix du jury, ni ne reconnaît les erreurs d’interprétation de ses membres sur la démarche du photographe italien connu pourtant dans son pays pour être un photographe de mode et de publicité davantage qu’un photo-reporter. Il suffit de consulter son site pour lire son parcours et voir son positionnement, en particulier dans son sujet sur les sans-abri à Rome traités en portraits noir et blanc grandiloquents.

L’attribution du World Press Photo 2013 au Suédois Paul Hansen avait posé la question des limites de la retouche en photojournalisme. Celle de Giovanni Troilo pour la catégorie « Problématiques contemporaines » interroge sur les limites de la mise en scène photo comme sur la rigueur journalistique dans l’information traitée qui prévaut dans une catégorie portant sur l’actualité. Pour ses 50 ans, le World Press Photo créé pour soutenir le photojournalisme aurait sans doute rêvé mieux que le retrait de son prix.
 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°431 du 13 mars 2015, avec le titre suivant : Le World Press Photo se déjuge

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