Cinéma

Berlin célèbre un art libre

Par Isabelle Spicer (Correspondante à Berlin) · Le Journal des Arts

Le 25 février 2015 - 765 mots

La 65e édition de la Berlinale a mis l’accent sur la liberté d’expression avec un Jafar Panahi empêché de chercher son prix et a récompensé les fictions réalisées par des artistes.

BERLIN - La 65e édition du Festival de film de Berlin, qui s’est tenue du 5 au 15 février, a été placée sous le signe de la liberté d’expression, en rendant hommage aux victimes des attentats de Charlie Hebdo. La ministre de la Culture allemande, Monika Grütters s’est réjouie que la Berlinale se fasse l’écho des millions de « Je suis Charlie » en présentant une « fête de la liberté artistique ». Le jury de la Berlinale s’est également prononcé en faveur de la liberté d’expression en consacrant d’un Ours d’or le film clandestin du metteur en scène iranien Jafar Panahi, interdit d’exercer sa profession de cinéaste et interdit de voyager.

Également interdit de voyager, l’artiste chinois Ai Wei Wei s’est transformé en metteur en scène à distance pendant le festival mais en marge de l’événement. Il est l’un des neuf cinéastes qui réaliseront un court-métrage dédié à Berlin, qui seront réunis dans le film Berlin, I Love You, sur le même modèle que Paris, je t’aime ou New York, I Love You. Ne pouvant se rendre dans la capitale allemande, il a dirigé via Skype ses acteurs, parmi lesquels son fils qui y réside. Les visiteurs de la Berlinale pouvaient suivre sur écran géant le déroulement du tournage. Autre défense de la liberté d’expression, le prix spécial de la « caméra de la Berlinale » a été attribué à Naoum Kleiman, l’ancien directeur du Musée du cinéma de Moscou limogé en juillet dernier.

Puis le dixième anniversaire de la section Forum Expanded – dont la porosité avec les arts visuels est la plus importante– fut un autre temps fort de la Berlinale. Pour la responsable du programme, Stefanie Schulte, l’évolution principale de ces dix dernières années concerne l’audience qui, lors de la première édition en 2006 au centre d’art KW, provenait exclusivement du monde du cinéma et non du monde de l’art. Dix ans après, elle reconnaît « qu’on ne voit plus de grande différence entre [les] spectateurs ». Pour cette édition, Forum expanded s’est installé à l’Académie des Arts de Berlin et proposait en sus des projections et débats, une exposition d’art vidéo et de films expérimentaux. Les organisateurs s’amusaient de revenir dans un cadre aussi institutionnel, après avoir investi les années précédentes un ancien crématorium et une Église désacralisée reconvertie en galerie d’art.

Pierre Huyghe à l’honneur
Parmi l’offre toujours plus riche de la section Forum Expanded, deux œuvres se sont démarquées, qui ont d’ailleurs reçu, ex aequo, le prix « Think : Film » d’un jury indépendant de la Berlinale. L’œuvre troublante de l’artiste français Pierre Huyghe, Untitled (Human Mask), part d’un fait réel – le dressage de singes, qui masqués, perruqués et vêtus  d’habits d’enfants, deviennent serveurs dans des restaurants au Japon – et le transpose dans le cadre apocalyptique de Fukushima. Cette œuvre est actuellement présentée dans la rétrospective de l’artiste au LACMA de Los Angeles. La seconde œuvre primée présente les performances de l’artiste polonais Oskar Dawicki sous forme de fiction. Comment vendre des performances ? Comment les présenter dans un cadre muséal, s’interroge le moyen-métrage ? Le coréalisateur Lukasz Ronduda explique que ce film est une critique des institutions d’art. Le format choisi permet de lier les œuvres entre elles au moyen des ressorts de la fiction, par exemple l’émotion.

Un an après le semi-échec du  Monuments Men de George Clooney, la section Berlinale Special se penche de nouveau sur les biens spoliés par les nazis, cette fois sur le thème de la restitution. The Woman in Gold, de Simon Curtis avec Helen Mirren, retrace le long combat judiciaire de Maria Altmann pour la restitution par l’Autriche de plusieurs œuvres de Klimt spoliées à sa famille après l’Anschluss. Du côté des fictions, Elixir, un film allemand, transpose les surréalistes André Breton et Tristan Tzara dans le Berlin contemporain, confrontés à la gentrification croissante de la capitale allemande. Des poètes et artistes fomentent une performance anarchique d’envergure lors d’un défilé de mode artistique en marge de la Berlin Art Week. Finalement, l’action sera récupérée par le designer et transformé en concept marketing. Le film français Le dos rouge, d’Antoine Barraud, coproduit par le Centre Pompidou et qui sera sur les écrans le 22 avril prochain, relate quant à lui la quête d’un metteur en scène à la recherche d’une œuvre d’art sur le thème de la monstruosité, qui sera le point de départ de son prochain film.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°430 du 27 février 2015, avec le titre suivant : Berlin célèbre un art libre

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