Berlin

Quand l’œuvre se tait

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 10 février 2015 - 691 mots

Scruter la vie des œuvres du passé, telle est la proposition de Mariana Castillo Debal, qui se perd dans un discours abscons et un accrochage ampoulé à la Hamburger Bahnhof.

BERLIN - C’est avec la Biennale de Venise de 2011 que Mariana Castillo Deball a commencé à acquérir une belle visibilité. Elle évoquait alors à l’Arsenal l’histoire perdue du passé précolombien de son pays, le Mexique. Présentés sous vitrine, des dessins d’une longueur infinie laissaient l’œil autant que le visiteur se perdre avec bonheur. À l’instar d’artistes de sa génération tels Simon Starling ou Mario García Torres, son œuvre prend souvent pour appui et point de départ un événement du passé, un objet, un souvenir. Dans son cas, c’est tout particulièrement l’archive qui, de manière récurrente, est source de réflexion.

Lauréate en 2013 du National Gallery Prize for Young Art, décerné chaque année par la Hamburger Bahnhof, c’est tout naturellement que Mariana Castillo Deball a depuis l’automne investi la grande nef du Musée d’art contemporain. L’artiste s’est plongée dans la mémoire de l’institution berlinoise, et a questionné la manière dont est ordonnée, classifiée, la pensée par les institutions qui ont la charge du passé. Le musée s’impose alors comme un terrain de jeu idéal, particulièrement en Allemagne au vu des soubresauts dont le XXe siècle fut porteur. Ses investigations l’ont conduite à s’intéresser tant à la nature des collections, leur composition, leur mode de constitution et de présentation, leurs déplacements, qu’à l’histoire du lieu lui-même, une ancienne gare de chemin de fer.

Intitulé « Parergon » [« pièce ajoutée à l’œuvre »], le résultat de sa réflexion est toutefois en tous points décevant. Dans la forme tout d’abord. Un accrochage ténu d’un peu moins d’une trentaine de pièces – œuvres d’art produites par l’artiste ou issues des collections et pièces de mobilier des Staatliche Museen zu Berlin (musées d’État) – est ici déployé, qui sera volontiers présenté comme une façon alternative de les regarder : on n’en attendait pas moins !

Un propos téléphoné
L’ordonnancement de l’ensemble paraît à ce point millimétré qu’il transpire la préciosité convenue, ce qui, au final, glace des lieux déjà pas foncièrement chaleureux. Bien entendu, nul cartel ne vient perturber le regard, seuls des numéros au sol renvoyent à un journal d’exposition distribué gratuitement. S’ajoute à cela un audioguide, plutôt intelligent, une œuvre en soi, qui pour une sélection de dix objets met à contribution des spécialistes qui viennent en conter la nature, l’histoire, la symbolique, la teneur. Ailleurs c’est le chemin de la fiction qui est emprunté, comme avec la lecture d’un texte d’Enrique Vila-Matas venant accompagner un fauteuil roulant, œuvre de l’artiste, porteur de l’inscription « null problemo ».

Tout cela pourrait éventuellement passer si le fond était convaincant, mais là non plus point de salut. Car en s’intéressant à la manière dont un musée peut parvenir à bouleverser la vie des objets voire leur statut, Mariana Castillo Deball se perd dans des détails et déroule un propos totalement abscons, à coup d’arguments parfois téléphonés. Ainsi lorsque semble être évoquée une certaine fragilité, avec, se succédant dans l’espace, le fauteuil roulant en question, mais aussi un élément d’une locomotive ayant explosé et une belle statue de Lehmbruck qui n’est qu’un fragment, un simple torse de femme (Fragment, 1911).

Plus gênant encore est ce masque mortuaire du peintre juif Max Liebermann exécuté par Arno Breker en 1935, mis en relation avec des peintures de l’artiste, entre motifs floraux et abstraction dans des tons de noir (Ayaminski, 2014). Que se disent-ils ? Rien. À l’issue du parcours, quelques photos d’archives reviennent sur la controverse qui, en 1981, accompagna une exposition-fleuve de Breker, artiste attaché au régime nazi. Breker voulut y inclure le masque de Liebermann qui entre-temps, apprend-on de l’audioguide, avait intégré la Nationalgalerie en 1968, puis le Musée Juif dans les années 1980 ; une demande qui fut rejetée et donna lieu à un procès, perdu par le sculpteur. Hormis ces informations, certes intéressantes, sur les turpitudes d’une œuvre, quel propos général tout cela vient-il servir ? On a beau chercher, on s’interroge encore !

Mariana Castillo Deball

Commissaire : Melanie Roumiguière
Nombre d’œuvres : 27

Mariana Castillo Deball. Parergon, jusqu’au 1er mars, Hamburger Bahnhof, Museum für Gegenwart - Berlin, Invalidenstraße 50-51, Berlin, tél. 49 30 266 424 242, www.smb.museum, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-20h, entrée 8 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°429 du 13 février 2015, avec le titre suivant : Quand l’œuvre se tait

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