Les enfants du Grand Paris

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 31 décembre 2014 - 584 mots

« Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment, comme nous, d’un si grand amour », lançait déjà Garance (Arletty) par défi à Frédéric (Pierre Brasseur) en déambulant sur le boulevard du Crime.

Paris étouffe encore, encerclée dans son périphérique. Pourtant, elle refuse de laisser construire, porte de Versailles, une tour Triangle (plutôt modeste), signée Herzog & de Meuron. Elle préfère rêver en grand, éblouie par le rayonnement d’une ville monde, qui serait à la « hauteur » d’autres puissantes métropoles. C’est le rêve horizontal du Grand Paris, dont on perçoit encore bien mal la future réalité tant les enjeux d’urbanisme, d’architecture, de transport, de modes de vie sont complexes. Dans un an, le 1er janvier 2016, sa structure de gouvernance – la Métropole du Grand Paris (MGP) – verra le jour. Étape décisive ? Alignons alors les acronymes, en espérant les retenir. Établissement public de coopération intercommunale (EPCI), gouvernée par « un conseil métropolitain », la MGP regroupera Paris et les communes des trois départements de la « petite couronne » (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne), soit 6,7 millions d’habitants (un peu plus de la moitié de ceux d’Île-de-France) répartis sur 762 km2. Les luttes d’influence, le maintien d’avantages acquis ont conduit à des alliances surprenantes offrant à plus de 300 élus d’intervenir dans la gestion. Gage d’efficacité ? L’Autorité du Grand Londres – 8,3 millions d’habitants sur 1 572 km2 – compte seulement 25 élus en plus de son maire. Un sujet a polarisé les discussions et en a éclipsé d’autres relevant des compétences de la MGP, comme l’aménagement de l’espace métropolitain ou la politique de la ville et l’environnement : la seule fiscalité, son taux de prélèvement et la répartition des recettes entre Métropole et « territoires ». Gageons que les hostilités vont se poursuivre. En revanche, et curieusement, la MGP n’aura pas de compétence sur les transports qui restent pilotés par le Syndicat de la région Île-de-France (STIF) à l’exception du Grand Paris Express, chantier colossal dont les chiffres peuvent aussi faire rêver : plus de 200 km de réseau pour 2 millions de voyageurs, 72 gares desservies dont 57 nouvelles, 25,5 milliards d’euros investis sur 15 ans. Ce grand « Ring », qui devrait enfin offrir un acheminement décent d’une ex-banlieue à une autre, relève, lui, de la Société du Grand Paris (SGP), établissement public entièrement contrôlé par l’État. Là aussi, en matière de transport, l’entrelacs des décisions du Grand Paris est complexe. La SGP ne veut pas seulement mieux transporter les voyageurs, mais aussi les cultiver. Elle a chargé un comité d’experts de définir « un schéma directeur des actions culturelles ». Si l’ambition du Grand Paris est vraiment de se donner une image à l’international, il est difficile de comprendre qu’aucune personnalité étrangère n’ait figuré dans ce comité, comme si l’expérience du grand Londres ou celle d’autres métropoles ne comptaient pas. Ce comité bien franco-français s’est borné, après un an de réflexion, à remettre un « schéma très ouvert, pas autoritaire ». De fait, le schéma directeur diffusé s’apparente plus à un cahier de tendances, à un catalogue de ce qui s’est déjà fait un peu partout, des installations réalisées par des artistes, leurs performances, jusqu’à la multiplication des pianos dans les gares. Pas de proposition d’axe, ou de ligne de force reliant les futures gares, « à vous de jouer » donc… comme pour les pianos. La SGP recrute désormais une direction artistique, le lauréat sera connu au printemps. Bien franchir le périphérique ne sera pas un boulevard.

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Front-de-Seine vu du pont Mirabeau © Photo Hispalois - 2007 - Licence CC BY-SA 3.0 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°426 du 2 janvier 2015, avec le titre suivant : Les enfants du Grand Paris

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