Moyen Âge

Pérégrinations médiévales

Par Suzanne Lemardelé · Le Journal des Arts

Le 30 décembre 2014 - 644 mots

Le Musée de Cluny entraîne le visiteur dans un périple sur les routes du monde médiéval et explore toutes les facettes du voyage.

PARIS - À l’origine, le thème du voyage devait donner lieu à un simple échange d’œuvres, un partenariat scellant la création d’un réseau des musées d’art médiéval entre le Musée de Cluny, le Musée du Bargello (Florence), le Musée épiscopal de Vic (Catalogne) et le Musée Schnütgen (Cologne). « L’idée était de faire circuler un objet lié à ce thème provenant de chacune des quatre collections », explique le commissaire, Michel Huynh. « Mais impossible de choisir un seul objet pour Cluny, un seul objet ne peut résumer tous les types de voyages ». Le projet a donc changé d’envergure, jusqu’à occuper l’intégralité du frigidarium des thermes. Organisé autour de l’imposante épave d’Urbieta (v. 1450, Musée archéologique de Bilbao), rare bateau médiéval dont les restes sont encore conservés, le parcours traite du voyage au sens large.

Commerce, pèlerinage, croisade, les motivations de l’homme du Moyen Âge sont en effet diverses lorsqu’il s’agit de quitter ses pénates. Sur ses traces, sans parcours imposé car « il n’y a pas d’histoire linéaire du voyage », le visiteur explore à sa guise les différents modules qui racontent, chacun de manière plus ou moins approfondie, un aspect de ces pérégrinations médiévales. Certains témoignages matériels permettent de toucher du doigt le quotidien des baroudeurs les mieux organisés : chaussures de cuir, chandeliers pliants, autels portatifs, boîtes de jeux… Comme aujourd’hui, le confort du déplacement est directement lié au statut social de celui qui l’entreprend. À son retour, le voyageur peut éventuellement mettre à profit son expérience en publiant un guide. Celui de Bernhard von Breydenbach (1486, Paris, BnF) est un modèle du genre. Pèlerin et explorateur accompli, le chanoine y fait reproduire une vue de la Terre sainte, les costumes des peuples rencontrés… et bien sûr la licorne aperçue à proximité du Sinaï. Les guides ne sont cependant pas les seuls livres qui parcourent le monde. Réalisé au début du VIIIe, le codex Amiatinus (Florence, biblioteca Medicea Laurenziana) est l’une des plus anciennes bibles rédigées en latin, un manuscrit enluminé impressionnant d’une cinquantaine de kilos, dont la confection a coûté la vie à environ 2 000 veaux. Commandé par un abbé anglais pour le pape Grégoire II, l’ouvrage n’arriva cependant
jamais jusqu’à Rome car le religieux mourut avant d’avoir achevé son périple.

Une collaboration entre musées médiévaux
Outre les raisons des déplacements, certaines figures de voyageurs (les marchands, les artistes) et quelques thèmes précis (l’autre, l’appréhension du monde) sont également évoqués.
Le réseau des musées d’art médiéval a, facilité plusieurs prêts. Le Musée épiscopal de Vic s’est ainsi séparé de différents panneaux peints dont un élément de retable de Lluis Borrassà (v. 1360) représentant saint Dominique secourant des pèlerins en plein naufrage. De son côté, le Bargello a entre autres confié au musée parisien deux magnifiques selles d’apparat du XVe siècle. Richement décorées, destinées à la parade plus qu’à de longues chevauchées, elles illustrent le rôle de marqueur social que jouent parfois certains voyages symboliques. Un peu à l’écart, une vitrine amusante est enfin dédiée aux résonances contemporaines de ces voyages médiévaux. Le contenu dispersé d’un sac de pèlerin de retour de Compostelle en 2012, des médailles dédiées à saint Christophe… Même anecdotiques, ces petits objets témoignent de la survivance de quelques pratiques, et de la mutation de certaines autres. Les chevaliers errants ayant disparu, ce sont ainsi les motards qui viennent se faire bénir avec leurs montures au pèlerinage de Poracro. Et qui rapportent en souvenir de petits porte-clefs métalliques, échos très lointains des enseignes de pèlerinage médiévales.

Voyager

Commissariat : Michel Huynh, conservateur au Musée de Cluny-Musée national du Moyen Âge ; Benedetta Chiesi, collaborateur scientifique au Musée du Bargello à Florence ; Marc Sureda, conservateur au Musée épiscopal de Vic
Nombre d’œuvres : environ 160

Voyager au Moyen Âge, jusqu’au 23 février 2015, Musée de Cluny – musée national du Moyen Âge, 6 place Paul Painlevé, 75005 Paris. Tel. 01 53 73 78 16, www.musee-moyenage.fr, tlj 9h15-17h45, entrée 9 €, catalogue publié par les Éditions RMN Réunion des Musées Nationaux, 176 pages, 35 €

Légende photo :
Lluis Borrassa, Saint Dominique sauvant les naufragés, 1414-1415, panneau d'un retable provenant du couvent Sainte-Claire de Vic, Barcelone, détrempe sur bois, 190,2 x 128,5 cm, Museu Episcopal, Vic. © Photo : Museu Episcopal de Vic/Gabriel Salvans.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°426 du 2 janvier 2015, avec le titre suivant : Pérégrinations médiévales

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