Antiquité

Des bêtes et des dieux

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 30 décembre 2014 - 719 mots

Croisant plusieurs disciplines, le Louvre-Lens explore les liens tissés par les anciens Égyptiens avec un monde animal omniprésent et pilier de leur pensée religieuse.

LENS - Qu’ils soient à écailles, à plumes ou à poils, les animaux ont toujours fasciné les anciens Égyptiens. Loin d’être de simples moyens de transport ou de subsistance, ils ont conquis l’imaginaire comme le quotidien des sujets de Pharaon, au point d’être hissés au rang de métaphores pour penser et exprimer le monde. Source d’inspiration pour les artistes dès le IIIe millénaire avant notre ère, les animaux sont perçus comme des êtres intelligents et sensibles, au même titre que les humains. Il n’existe donc aucune différence ni de hiérarchie entre les différentes espèces qui ont vu le jour au moment de la création du monde. Comme le souligne avec pertinence la commissaire de l’exposition, l’égyptologue Hélène Guichard, l’homme n’est qu’une composante du système universel, au même titre que les végétaux, les minéraux et l’espèce animalière. Et c’est précisément de cet équilibre noué entre ces divers éléments que dépend l’équilibre cosmique fondamental, soit l’absence de chaos.

Une faune disparue
Si elle assume pleinement sa vocation pédagogique, l’exposition du Louvre-Lens se révèle en même temps d’une grande ambition intellectuelle. Faisant dialoguer des disciplines multiples – l’histoire de l’art, l’archéologie, l’épigraphie, l’archéozoologie –, elle prend des allures d’enquête ethnologique, telle que l’historien grec Hérodote l’avait établie. On ne saurait ainsi parler de la faune égyptienne sans rappeler au visiteur combien l’écosystème de l’Égypte a évolué sous les coups des changements climatiques et des interventions de l’homme. Avant la construction du grand barrage d’Assouan en 1971, les rives du Nil étaient inondées durant les quatre mois de l’été et ses papyrus abritaient une kyrielle d’oiseaux aquatiques dont on perçoit le souvenir sur les fresques des tombes du Moyen et du Nouvel Empire. Le fleuve regorgeait de poissons, mais aussi de crocodiles et d’hippopotames. De part et d’autre du Nil, s’étendaient les zones ingrates et hostiles du désert libyque et du désert arabique : y pullulaient les redoutables serpents, scorpions, chiens sauvages, hyènes et chacals. Prêtés par le Muséum d’histoire naturelle de Lille, une douzaine d’exemplaires naturalisés s’avèrent particulièrement effrayants…

Interpréter le divin
Une fois le décor « terrestre » planté (sont évoqués, tour à tour, la chasse, la pêche, la consommation, le sacrifice, le transport, la guerre…), l’exposition aborde la question délicate de la métaphore animalière et de l’hybridation des formes. Des façades des temples aux peintures des tombes, des objets de la vie quotidienne aux artefacts les plus précieux, les artisans égyptiens ont en effet sublimé et transposé avec un rare degré de sophistication la faune qu’ils avaient sous les yeux. Mieux, ils ont pratiqué un métissage des formes, transplantant un visage féminin sur un corps de chatte ou de scorpion, greffant une tête de bélier, d’ibis ou de lion sur un torse humain. En d’autres mots : si les Grecs ont placé l’homme au cœur de leur système de pensée et de représentation, les anciens Égyptiens ont érigé l’animal au rang de motif obsessionnel, de principe absolu. Ne nous y trompons pas, cependant. Comme le souligne Hélène Guichard, « l’animal agit ici comme une grille de lecture, qui permet de rendre intelligible l’idée même du divin ». Déesse céleste et lumineuse, la déesse Hathor revêt ainsi l’apparence d’une vache, figure maternelle et protectrice. Déposées dans les tombes, les statuettes d’hippopotame en faïence bleue symbolisent la figure du soleil qui surgit de l’onde au tout premier jour de la création. Figure anthropomorphe à tête de lion, la déesse Sekhmet apparaît tantôt apaisée, tantôt redoutable… Cette apparente « zoolâtrie » – si décriée par les auteurs gréco-romains puis les Pères de l’Église – ne peut toutefois se comprendre sans cette notion qui sous-tend toute la pensée égyptienne : bien plus que des emblèmes ou des symboles, les animaux méritent d’être soignés et adorés, car ils sont le réceptacle même des formes, bonnes ou mauvaises, de la puissance divine. En témoignent ces gigantesques nécropoles renfermant, par milliers, des momies de chats, de crocodiles, d’ibis ou de babouins effectuant, dans leurs bandelettes parfumées, leur long voyage pour l’Au-delà…

Animaux et pharaons

Commissariat : Hélène Guichard, conservateur en chef au département des Antiquités égyptiennes du Louvre, assistée de Catherine Bridonneau et de Fanny Hamonic
Scénographie : MAW Maffre Architectural Workshop
Nombre d’œuvres : 430

Des Animaux et des Pharaons, le règne animal dans l’Égypte ancienne, jusqu’au 9 mars 2015, Musée du Louvre-Lens, 99 rue Paul Bert, 62300 Lens, tel 03 21 18 62 62, www.louvrelens.fr, Catalogue coédition Louvre-Lens/Somogy Éditions d’art, 352 pages, 39 €, entrée 9 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°426 du 2 janvier 2015, avec le titre suivant : Des bêtes et des dieux

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