XVIIIe siècle

Les peintres éclairés

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 9 décembre 2014 - 454 mots

L’historien des idées Tzvetan Todorov distingue les peintres et les œuvres qui se sont le mieux emparés de la pensée du Siècle des lumières.

De la mort du Roi-Soleil à la Révolution, le XVIIIe siècle en France fut celui de tous les basculements. Ce passage d’une monarchie de droit divin à la République, et donc du peuple qui a pris le pouvoir, s’appuie près de soixante-quinze ans d’une intense réflexion qui s’est propagée dans toute l’Europe. De ce bouillonnement d’idées plaçant l’humain au cœur du débat est née une série de bouleversements politiques, économiques et sociaux qui constituent encore à ce jour la colonne vertébrale de notre société. Les artistes étant des citoyens comme les autres, l’essayiste, historien des idées et directeur de recherche honoraire au CNRS Tzvetan Todorov s’est mis en quête de ceux qui, dans leur œuvre, ont le mieux reflété cette évolution des idées, ce fameux « esprit des Lumières ». Dans un style clair et précis, à la portée des néophytes, l’auteur livre une étude pertinente qui fait revivre sans efforts une période d’une grande richesse.

Familier du XVIIIe siècle pour lui avoir consacré ses deux précédents ouvrages, L’Esprit des Lumières (2006) et Goya à l’ombre des Lumières (2011), Tzvetan Todorov distingue quatre artistes majeurs imprégnés par ce nouvel ordre : le Français Antoine Watteau, l’Anglais William Hogarth, l’Espagnol Francisco de Goya et l’Italien Alessandro Magnasco. Tous ont, chacun à leur manière, tourné le dos à la peinture d’histoire – onéreuse, ostentatoire, destinée aux élites et privilégiant les figures bibliques, mythologiques ou légendaire –, pour donner le rôle principal aux hommes, aux femmes et aux enfants vaquant à leurs occupations de tous les jours. Si le regard est distant chez Watteau, il est satirique chez Hogarth, ethnographique chez Magnasco et féroce chez Goya. Car s’intéresser à la vie contemporaine induit parallèlement un regard critique sur la société.

Dans le sillage de ces quatre maîtres, l’historien identifie la peinture de genre comme grande ligne de force, venant piétiner les plates-bandes de la peinture d’histoire. Spécialité des Flamands et des Hollandais, ce type de peinture intimiste se renouvelle en abandonnant la dimension symbolique de ses mises en scène et des objets figurés. Débarrassée de ses idéologies comme de ses artifices, cette peinture se sent plus légère et met d’autant plus facilement à nu ses modèles – les portraits pénétrants de Jean-Étienne Liotard et Maurice Quentin de La Tour peuvent en témoigner. Comme une revanche sur les « surhommes » qui ont envahi les toiles du XVIIe siècle, les petites gens et les marginaux ont droit à une attention particulière. Quant à l’amour, il tient avec le plaisir une place centrale dans des paysages enfin naturalistes. Une parenthèse humaniste avant le grand chambardement…

Tzvetan Todorov, La Peinture des Lumières, Éditions du Seuil, octobre 2014, 216 p., 45 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°425 du 12 décembre 2014, avec le titre suivant : Les peintres éclairés

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