Triennale - Design

Le design en temps de crise

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 9 décembre 2014 - 774 mots

MILAN / ITALIE

Pour sa 7e édition consacrée à la production italienne, le Triennale Design Museum de Milan démontre que les périodes d’austérité peuvent se révéler fécondes.

MILAN - Chaque année depuis son ouverture, fin 2007, le Triennale Design Museum, à Milan, propose une exposition sur le design italien, exercice louable mais aléatoire (et souvent risqué…), qui consiste à porter un regard à chaque fois renouvelé sur la production transalpine. L’an passé, la proposition avait largement déçu. Cette année, elle enchante. Plutôt que de montrer une énième fois les « monstres sacrés » ou de sombrer dans la promotion commerciale à peine voilée, cette 7e édition s’intéresse au fond à travers une thématique fascinante : le design en période de crise. Elle s’intitule ainsi « Il design italiano oltre le crisi. Autarchia, austerità, autoproduzione » [« Le design italien au-delà des crises. Autarcie, austérité, autonomie »].

À travers plus de 600 pièces, le parcours explore trois périodes cruciales de l’Histoire : les années 1930, 1970 et 2000. « À partir de ces trois grandes fractures d’époque, nous avons déterminé avec “Autarcie, austérité et autonomie” trois stratégies concrètes auxquelles le design a dû se confronter pour émerger à la fois socialement, politiquement et culturellement », explique Silvana Annicchiarico, directrice du Triennale Design Museum et commissaire de l’exposition.

La crise, quelle crise ?
Premier volet donc, les années 1930 : l’Italie subit la crise économique liée au krach de 1929, puis les sanctions des Nations unies qui suivent la déclaration de guerre de Mussolini contre l’Éthiopie, en 1935. Il n’empêche, les créateurs transalpins produisent des œuvres exemplaires. Ainsi, Gio Ponti dessine le Palazzo Montecatini, à Milan, édifice de bureaux tout en sobriété – on peut en voir des photos en noir et blanc – qu’il équipe d’un mobilier à l’esthétique élégante. Remarquable est également la production de Luigi Vietti, avec un fauteuil raffiné fait de larges bandes de cuir tressées, ou celle de Franco Albini et sa liseuse à trois pieds Mitragliera.

Moult autres surprises attendent le visiteur, comme ces pièces d’Ettore Sottsass, soit la tapisserie Arazzo et un vase soutenu par un frêle pied métallique telle la patte d’un insecte ; d’étonnantes céramiques signées Fausto Melotti et autres centres de table de Roberto Mango, dont le credo, lucide, était : « Faire beaucoup avec presque rien. » Un principe sans doute équivalent poussa le trio Gregotti/Meneghetti/Stoppino à imaginer un splendide fauteuil ajouré en contreplaqué courbé. Une section consacrée à la Sardaigne arbore, en outre, de délicates pièces de textile, ainsi que des travaux composés de corde, dont une chaise triangulaire que Jacques Couelle et Giovanni Antonio Sulas avaient conçue pour l’hôtel Cala di Volpe, à Nuoro.

Dans les années 1970, on passe de l’autarcie aux projets participatifs. Exilé aux États-Unis, en plein désert de l’Arizona, Paolo Soleri construit une ville utopique, « Arcosanti », en collaboration avec une multitude d’étudiants en architecture. Esquisses, plans et photographies racontent, ici, cette « ville-écolo » avant l’heure. À Milan et sous le concept original d’« Autoprogettazione », Enzo Mari décide de faire participer l’utilisateur, et même de le laisser construire lui-même son meuble à partir des plans détaillés qui lui sont fournis. Ugo La Pietra propose, lui, des « Interventions urbaines » grâce auxquelles il revisite de manière insolite la cabane de jardin ou le mobilier urbain, rebaptisés avec humour Équipements urbains pour la collectivité : un escalier-bibliothèque de plein air dont les marches sont des tiroirs à livres, des barrières de travaux qui deviennent parc pour enfant, une vespasienne avec lits superposés…

Focalisée sur le siècle nouveau, la dernière partie de l’exposition évoque l’autonomie, en l’occurrence les formes avant-gardistes de production et surtout d’autoproduction. Si les « maîtres » avaient quelque peu anticipé la chose – Gaetano Pesce et sa société Fish Design pour son travail en résine, Michele De Lucchi et sa maison d’édition Produzione Privata [Production privée] –, les jeunes designers multiplient, eux, les modes de production, souvent à cause du manque d’ambition de certains fabricants. Ainsi, le duo Studio FormaFantasma déploie pièces uniques ou petites séries, telle cette collection de contenants en terre cuite intitulée… « Autarcie ». De son côté, Martino Gamper invente des meubles loufoques qui sont comme des performances artistiques. Entre système D et petite entreprise bien rodée, les pistes sont légion. De là à penser que les années de crise économique seraient particulièrement favorables au stimulus créatif, il n’y a qu’un pas !

Il design italiano…

Concept et direction de l’exposition : Silvana Annicchiarico, directrice du Triennale Design Museum
Commissaire scientifique : Beppe Finessi, architecte et chercheur au Politecnico de Milan
Scénographe : Philippe Nigro, designer
Nombre de pièces : plus de 600

Il design italiano oltre le crisi : autarchia, austerità, autoproduzione

Jusqu’au 22 février 2015, Triennale Design Museum, Viale Alemagna, 6, Milan, www.triennale.it, tlj sauf lundi 10h30-20h30, jeudi jusqu’à 23h.

Légende photo :
Vue de l'exposition « Le design italien au-delà des crises », Triennale Design museum, Milan. © Photo : Marchesi.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°425 du 12 décembre 2014, avec le titre suivant : Le design en temps de crise

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