Louvre

Rhodes, île métisse

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 9 décembre 2014 - 641 mots

Servie par des objets exemplaires, l’exposition retrace plus d’un siècle de fouilles et de découvertes dans cette île grecque mâtinée d’Orient.

PARIS - L’affiche de l’exposition est, en soi, une invitation au voyage, un appel à la curiosité : on y voit un rhyton (vase à boire conique) sur lequel se déploie, hypnotique et majestueux, un poulpe dont le graphisme stylisé n’a rien à envier aux dessins d’un Picasso ! Point de doute, cependant : Rhodes, l’île la plus orientale du Dodécanèse, parle bien le langage du monde grec. Mais un langage teinté d’influences diverses qui absorbe, pour mieux le réinterpréter, un riche répertoire de formes et de motifs nés en Orient. Terre de mixité culturelle et d’échanges économiques avec l’Égypte et les peuples du Levant, Rhodes fascine autant qu’elle laisse perplexe. Les objets précieux exhumés de ses acropoles comme de ses nécropoles sont hybrides et somptueux : reflets d’un monde antique dans lequel circulaient, à grande échelle, les hommes, les artistes et les dieux.

Fruit d’une collaboration étroite entre Anne Coulié, conservatrice en chef au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du Louvre, et Melina Filimonos-Tsopotou, éminente archéologue qui dirigea la 22e éphorie des Antiquités de Rhodes, l’exposition combine exigence scientifique et séduction visuelle. Grâce à une mine de documents inédits (photographies d’archives, extraits de journaux et de lettres), le visiteur est ainsi plongé dans l’atmosphère des fouilles entreprises sur l’île, dès la seconde moitié du XIXe siècle, par les archéologues franco-britanniques, danois, italiens puis grecs. L’exposition offre de surcroît l’opportunité de réhabiliter la figure d’un archéologue, dessinateur et photographe totalement méconnu du grand public : l’Alsacien Auguste Salzmann (1824-1872). Celui qui accompagna en Algérie son ami le peintre Eugène Fromentin et composa des contes orientaux loués par Théophile Gautier en personne conduisit, de surcroît, des fouilles exemplaires sur l’île de Rhodes, entre 1859 et 1868. Non content de mettre au jour le site de Camiros et ses trésors (dont la fameuse « tombe à bijoux » et ses magnifiques pendentifs en or), Salzmann devait exhumer les premiers témoignages d’une céramique d’époque mycénienne. Et ce, dix ans avant les fouilles de Schliemann à Mycènes !

Hélas, le naufrage des sources, combiné à l’infortune de l’archéologue (il est lâché par son mécène, Auguste Parent, qui abandonne en cours de route le financement des fouilles et son rêve de musée), plongera irrémédiablement dans l’oubli la figure d’Auguste Salzmann. Et pourtant, c’est grâce à son travail obstiné que sont parvenues au Louvre, comme au British Museum, ces pièces rhodiennes dont le raffinement le dispute à la virtuosité technique.

Figurines d’allure syro-phénicienne
Au centre de l’exposition, une large vitrine résume, à elle seule, ce formidable creuset d’influences et d’esthétiques qu’était l’île de Rhodes, entre les XVe et Ve siècles avant notre ère. Cohabitaient ainsi, dans une parfaite harmonie formelle, figurines en bronze d’allure syro-phénicienne, amulettes égyptiennes en faïence bleue représentant le dieu Bès, statuette de bouquetin d’origine iranienne, coupe en argent phrygienne ornée de rosettes… Parmi les objets les plus singuliers de l’exposition, on admirera cet imposant coquillage de plus de 20 cm orné d’une tête humaine : découvert sur le site de l’acropole de Lindos, il était probablement d’origine syro-palestinienne et faisait office de palette à fards, avant d’être offert en ex-voto.

Mais s’il est un domaine dans lequel excellaient particulièrement les artisans rhodiens, c’est bien dans celui de l’orfèvrerie. Vraisemblablement produite dans un atelier de Camiros, une kyrielle de plaquettes vit ainsi le jour dans la seconde moitié du VIIe siècle, véhiculant une imagerie orientalisante du plus bel effet. Aux côtés de centaures, sphinx, « femmes-abeilles » et autres griffons, va s’imposer le thème de la « Potnia Thérôn », ou « maîtresse des animaux » flanquée de deux lions. C’est l’une de ces petites plaquettes d’or et d’argent qui allait inspirer Gustave Flaubert pour sa description du costume de l’enivrante Salammbô…

Rhodes, une île grecque aux portes de l’Orient, du XVe au Ve siècle avant J.-C.

Jusqu’au 9 février 2015, Musée du Louvre, espace Richelieu, aile Richelieu, www.louvre.fr, 75001 Paris, tél. 01 40 20 50 50, tlj sauf mardi 9h-18h, jusqu’à 21h45 le mercredi et le vendredi. Catalogue, sous la direction d’Anne Coulié et de Mélina Filimonos-Tsopotou, coéd. Somogy/Musée du Louvre Éditions, 360 p., 39 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°425 du 12 décembre 2014, avec le titre suivant : Rhodes, île métisse

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