Entretien

Mike Leigh : « Je réalise mes films à la manière d’un artiste »

Metteur en scène et réalisateur

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 25 novembre 2014 - 744 mots

Le cinéaste britannique Mike Leigh met en scène les dernières années de la vie de J.M.W. Turner, incarné par Timothy Spall. Lauréat de la Palme d’or à Cannes pour Secrets and lies en 1996, le réalisateur a longtemps mûri l’idée d’un film sur la vie du peintre. Le grand succès obtenu au Royaume-Uni dope la fréquentation de la rétrospective consacrée au peintre actuellement à la Tate Britain à Londres. Son acteur principal Timothy Spall a été récompensé par le Grand prix d’interprétation au dernier Festival de Cannes.

Comment Turner s’est-il imposé comme le sujet d’un film ?
Lorsque j’avais 14 ans, j’aurais pu tout vous dire sur Picasso, Braque ou les impressionnistes, mais Turner ne faisait pas partie des artistes dont j’avais conscience, pas plus que Constable, David ou Delacroix. Dans les années 1960, j’ai écumé les musées de Londres lors de mes études à la Camberwell Art School et j’ai enfin découvert Turner. À cette époque, je cherchais les liens entre l’art et le cinéma, la réalité et le réalisme. Turner étant un immense réaliste en termes d’atmosphères, il m’a fasciné. Dans les années 1990, lorsque je travaillais sur mon film Topsy-Turvy, j’ai eu l’idée de faire un film sur lui et son œuvre éminemment cinématographique.

Trouver des financements a été ardu. Les producteurs sont-ils frileux à l’idée d’un film sur un artiste ?

Le coût élevé d’une reconstitution historique, a priori, leur faisait peur, d’autant que je travaille sans scénario. Je réalise mes films à la manière d’un artiste, j’explore mon sujet au fur et à mesure. Ces longues années nous ont donnés, à mon chef opérateur Dick Pope et moi, le temps de la réflexion. Mais nous avons dû nous priver de tourner des scènes à Venise, dont le coût aurait fait exploser le budget.

Quelles recherches avez-vous menées ?

Nous avons tout fouillé : les personnages, les œuvres, le contexte social, politique et économique… jusqu’aux détails gastronomiques. Chacun a mené sa propre enquête : le chef opérateur, le responsable des décors, les acteurs. Par exemple, tous les acteurs qui incarnent des peintres célèbres ont mené leurs recherches à la bibliothèque de la Royal Academy. Si ces acteurs savent d’ailleurs tous peindre, Timothy Spall a suivi des cours pendant deux ans, pour maîtriser son geste. L’historienne de l’art Jacqueline Riding, spécialiste de l’époque victorienne, a été notre consultante. Les biographies et les descriptions d’époque au sujet de Turner sont très nombreuses, et en dépit de sa double vie, son portrait est assez complet. On sait qu’il émettait des sons bizarres, qu’il était à la fois très éloquent et taciturne, qu’il ponctuait ses phrases de références classiques…

Jusqu’où avez-vous poussé la reconstitution ?

Les scènes de la Royal Académie ont été tournées dans une demeure près de Sheffield, celles à Margate non loin de Plymouth, le navire de guerre Fighting Temeraire apparaît grâce à l’imagerie de synthèse… Les tableaux sont de vulgaires photocopies couleurs recouvertes d’un vernis épais et encadrées dans des moulages en plastique ! L’histoire de l’art récente a beau réfuter le fait que Turner se soit attaché au mât d’un bateau en pleine tempête, la vérité importe peu. Cela fait partie du mythe et ce mythe est très cinématographique. En revanche, la scène à Pentworth House (Sussex), qui voit Turner peindre en compagnie de trois jeunes femmes devant une fenêtre baignée de soleil, est une reconstitution de l’aquarelle intitulée L’artiste et ses admiratrices. Nous nous sommes toujours efforcés de recréer sa palette – ses couleurs, ses tons, ses atmosphères.

Avez-vous vu la rétrospective Turner à la Tate Britain ?
Oui, j’y suis allé plusieurs fois pour donner des interviews. Je la trouve fantastique. En revanche, je dois avouer que j’ai trouvé « Constable » au Victoria & Albert Museum infiniment moins intéressant. Il était un peintre très sédentaire à l’accomplissement tardif, il sortait rarement de Londres ou de sa maison du Suffolk. Je trouve son travail plus limité, moins audacieux et moins profond que celui de Turner.

D’où avez-vous tiré le portrait plutôt cruel de John Ruskin, alors jeune collectionneur et futur grand critique ?
Pour être honnête, nous l’avons déduit de son éducation privilégiée dans un cercle familial très fermé. Sa mère avait même pris une chambre à côté de la sienne à Oxford ! D’où l’assurance de ce jeune homme qui passe pour de l’arrogance. Il est très difficile de donner la vie à des personnages historiques, aussi ce portrait est, je dirais, une version théâtralisée de son esprit.

Mr. Turner

Sortie le 3 décembre, réalisé par Mike Leigh, 2h40mn, coproduction européenne, avec Timothy Spall (Turner), Marion Bailey (Mrs. Booth), Paul Jesson (William Turner), Dorothy Atkinson (Hannah Danby).

Légende Photo :
Mike Leigh, le réalisateur de Mr. Turner © Simon Mein – Thin Man Films

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°424 du 28 novembre 2014, avec le titre suivant : Mike Leigh : « Je réalise mes films à la manière d’un artiste »

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