Raisonnable, trop raisonnable

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 12 novembre 2014 - 1009 mots

Alors que Nancy dispose d’un riche patrimoine et d’équipements notables dans le spectacle vivant, sa politique culturelle pragmatique, voire en retrait concernant l’art contemporain, risque de freiner ses ambitions régionales.

Nancy au pied du podium du Palmarès culturel des grandes villes ? Ce classement [JdA no 401, 15 nov. 2013] en a surpris plus d’un tant sa politique culturelle apparaît raisonnable. Nulle manifestation déchaînée à l’instar de la Folle Journée de Nantes, ou de Lille 3000 et son défilé d’éléphants, aucun événement de portée internationale telle que la Biennale d’art contemporain de Lyon, pas de Festival (de cinéma) de Cannes, pas de Festival (de théâtre) d’Avignon. Et pourtant, c’est à Nancy que Jack Lang a créé en 1963 le Festival mondial du théâtre universitaire, depuis quelque peu tombé dans l’oubli mais dont il reste une scène nationale, le Théâtre de la Manufacture. La Ville peut également s’enorgueillir d’un opéra doté du label « national », d’un ballet, d’un orchestre symphonique et lyrique, d’un Zénith… Mais quand elle organise le « Nancy Jazz Pulsations », elle le fait en octobre loin des festivals de l’été qui pourraient lui faire de l’ombre.

Si Nancy possède des équipements remarquables dans le domaine du spectacle vivant, elle peut s’appuyer tout autant sinon plus sur un solide patrimoine monumental et muséal. Avec la célèbre place Stanislas et ses alentours, elle est l’une des rares villes à disposer d’un site inscrit par l’Unesco sur la Liste du patrimonial mondial. Elle se classe même en première position par le nombre de sites classés monuments historiques (77). Elle a une longue histoire, et chaque époque lui a légué un lieu emblématique : le Palais des ducs de Lorraine, héritage de la Renaissance ; la place Stanislas, symbole du classicisme, et tous les hôtels particuliers de style Art nouveau, à commencer le Musée de l’école de Nancy dont le nom rappelle opportunément l’importance de la région dans le renouveau des arts. Un patrimoine que la Ville a su entretenir et rénover, le Palais ducal constituant le prochain gros chantier. Le paysage muséal est tout aussi riche, éclairé par le Musée des beaux-arts, l’un des plus anciens musées de France, doté en 1999 d’une belle extension et qui pointe à la 9e place du palmarès 2014 des musées dans les grandes villes.

Continuité municipale
La municipalité n’est pas pour autant rétive à la communication, dont elle a bien compris la nécessité pour attirer les touristes, un des axes clefs du développement local. Mais elle y a recours de manière pragmatique pour des événements qui s’appuient sur l’identité locale tels le Centenaire de l’école de Nancy (1999), la célébration de Jean Prouvé, ou « Renaissance Nancy 2013 ». Élu maire en 2014, Laurent Hénart entend capitaliser sur des personnalités ou des productions locales, tenant à garder le contact avec la population. Ce réalisme s’inscrit dans une longue continuité municipale qui explique sans doute en partie la richesse de son équipement culturel, sagement construit au fil du temps, grâce à des budgets généreux. La ville a toujours voté à droite (hormis pour les présidentielles de 2012), et André Rossinot (centriste), qui a occupé le fauteuil de maire pendant trente et un ans, a préparé en douceur son successeur tout en prenant soin de garder sa place dans la vie locale puisqu’il dirige aujourd’hui la communauté urbaine. Entré au conseil municipal en 1995 avant de se voir chargé de la culture à partir de 2001, « Laurent Hénart reste très impliqué dans les dossiers “culture”, qu’il connaît donc bien, relève Marc Ceccaldi, le directeur de la Drac [direction régionale aux Affaires culturelles] Lorraine. Il facilite les choses » .

Il ne faut donc pas s’étonner que l’art contemporain ait encore si peu sa place. Les élus sont souvent mal à l’aise avec les arts plastiques d’aujourd’hui, dont les critères d’appréciation requièrent une certaine expertise, ou du moins une forte appétence, et qui ne sont pas toujours payants électoralement parlant. Nancy a longtemps privilégié le théâtre, la musique et la danse et ce n’est que récemment qu’elle a compris la nécessité d’investir ce domaine. Mais elle avance à pas comptés. La galerie Poirel est dorénavant dédiée à la création, tout en gardant l’esprit populaire des lieux marqué par la salle de spectacle. Un programme de commande publique se met lentement en place, tandis que le projet de reconversion de la friche Alstom et son élargissement aux arts plastiques en est aux prémices. Plus étonnant, le maire tient à mettre en avant des artistes locaux, sur le même modèle que dans la création théâtrale. Ces initiatives ne remplaceront jamais un musée spécifiquement d’art contemporain, quel que soit le travail réalisé en ce domaine par le Musée des beaux-arts, car un tel musée reste un levier important pour l’éducation du public et un facteur d’émulation. Surtout dans une ville qui compte autant d’étudiants.

La concurrence entre Metz et Nancy
L’ouverture du Centre-Pompidou Metz (CPM) a sans doute fait prendre conscience aux élus de l’urgence (relative) de la situation. Le CPM, pour lequel ils avaient refusé de candidater, a formidablement dopé l’image de Metz, la rivale de toujours, et a, par contrecoup, mis en évidence le sous-équipement de Nancy en la matière. Les deux villes sont géographiquement très proches l’une de l’autre, à moins de 30 minutes en train avec des liaisons fréquentes, mais elles sont très différentes. Metz a gardé un aspect germanique alors que Nancy, qui est restée française après la défaite de 1870, est plus latine. L’une vote à gauche, l’autre à droite. Le spectacle vivant est très peu développé à Metz mais la Drac, le Frac [Fonds régional d’art contemporain], la préfecture de Région y ont leur siège. Or, dans la fusion annoncée entre l’Alsace et la Lorraine (et la Champagne-Ardenne), il sera difficile à Strasbourg, Metz et Nancy de briller d’un même éclat.

Laurent Hénart a annoncé sa volonté de transformer l’agglomération en métropole. L’art contemporain n’est évidemment pas l’alpha et l’oméga du développement territorial, mais il en est devenu, au même titre que n’importe quelle manifestation culturelle d’envergure, un facteur de rayonnement et d’attractivité. Nancy devra s’autoriser quelques excentricités pour prendre des points dans la compétition régionale.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°423 du 14 novembre 2014, avec le titre suivant : Raisonnable, trop raisonnable

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