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Jardins Albert-Kahn : une « japonisation » redoutée

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 10 novembre 2014 - 745 mots

Inquiètes que les jardins Albert-Kahn soient dénaturés par un projet de rénovation, trois associations ont déposé un recours gracieux.

BOULOGNE-BILLANCOURT - Réputé pour ses jardins et pour sa collection d’autochromes et de films commandés par le banquier globe-trotter Albert Kahn entre 1908 et 1931, le Musée et jardin Albert-Kahn, propriété du Département des Hauts-de-Seine, doit accueillir prochainement un chantier visant à agrandir ses espaces et rénover ses parties existantes (lire l’encadré). Ces travaux commenceront en janvier 2015 après la démolition de quatre immeubles d’habitation qui doit libérer un espace pour élever un nouveau bâtiment signé Kengo Kuma. Le 30 octobre 2014 – soit quelques jours avant la fin du délai légal (1) –, un recours gracieux a été adressé au maire de Boulogne-Billancourt pour faire annuler le permis de construire du chantier.

Signé conjointement par l’Association des amis du Musée et des jardins Albert-Kahn (Amjak), la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France et Paris Historique, ce recours accorde aux plaignants une durée de deux mois pour saisir le juge administratif en vue d’une éventuelle procédure contentieuse. Car les associations craignent aujourd’hui que les célèbres jardins Kahn, juxtaposition de scènes de promenade à la japonaise, à l’anglaise et à la française aménagée entre 1895 et 1910 sur 3,9 hectares, ne soient dénaturés par les travaux. Selon le souhait du conseil général, les jardins n’ont jamais fait l’objet de protection au titre des monuments historiques. Ils n’ont d’ailleurs pas toujours été traités comme des jardins d’intérêt patrimonial : entre 1989 et 1990, un nouveau jardin japonais est venu remplacer l’original, très endommagé.

Contraire à l’esprit des lieux
C’est précisément le bâtiment imaginé par Kengo Kuma et le traitement de ses abords qui inquiètent les associations. Une bande de 300 mètres carrés de jardin, aujourd’hui masquée par des palissades, doit recevoir des transformations. Le parti paysager de Michel Desvignes, intégré au permis de construire, prévoit la suppression d’un haut talus planté d’arbres, l’importation de plantes japonaises et la création d’un cheminement de pas japonais visant à « transformer l’expérience des lieux ». Cette « japonisation » d’une partie du jardin anglais est censée dialoguer avec l’engawa (2) prévue pour le bâtiment de Kuma. « Nous ne sommes pas contre l’édification d’un nouveau bâtiment et soutenons l’agrandissement du musée, mais cette japonisation à outrance du lieu est contraire à l’esprit des jardins d’Albert Kahn, qui repose sur l’équilibre entre des styles paysagers de différentes origines », dénonce Che Bing Chiu, architecte spécialiste des jardins extrême-orientaux et président de l’Amjak. Le Département des Hauts-de-Seine se veut rassurant. « Nous comprenons que le permis de construire puisse susciter des questionnements », admet Christian Lemoing, responsable des jardins historiques pour le conseil général. « Des termes trop forts ont pu y être employés, tels que celui d’engawa, mais il s’agit surtout d’une bande de sol suspendue concourant à rendre le jardin accessible aux personnes à mobilité réduite. Nous voulons impérativement protéger la mémoire des jardins. Il n’est prévu de n’intervenir que sur la lisière du jardin anglais. Les arbres majeurs seront protégés et le tracé des allées originelles ne sera pas touché. Le caractère anglais de cette partie du jardin sera préservé », assure-t-il. Les associations, le conseil général et le paysagiste devraient se réunir en novembre. « Nous sommes ouverts au dialogue », promet Stephan Kutniak, directeur de la culture au conseil général.

Le nouvel Albert-Kahn

« Certains de nos planchers sont à la limite de l’effondrement, nous accueillons les chercheurs sur un coin de table et nous ne savons pas où recevoir les groupes scolaires », déplore Valérie Perlès, directrice du Musée Albert-Kahn à Boulogne-Billancourt. Les équipements de l’institution sont vétustes et étriqués. Seule la galerie d’exposition bâtie en 1990 et un auditorium sont aujourd’hui accessibles au public. À partir de janvier 2015, les bâtiments disséminés dans le jardin (réserves, espaces administratifs et locaux techniques) doivent être rénovés, et, pour certains, intégrés à un parcours de visite qui débutera dans le nouveau bâtiment de 2 300 m2. « Nous voulons expliciter le lien entre le musée et les jardins », explique Valérie Perlès. Une salle pédagogique, un centre de ressources, un parking et un restaurant seront également ajoutés à ce nouveau musée dont la facture s’élève à 26,7 millions d’euros.

Notes

(1) Le permis de construire a été affiché le 3 septembre près de l’entrée du musée.
(2) Cette bande de sol suspendue traditionnelle de l’architecture nippone fait la transition entre intérieur et extérieur.

Légende photo

Musée Albert Kahn - Jardin japonais - © Photo Apostoly - 2011 - Licence CC BY-SA 3.0

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°423 du 14 novembre 2014, avec le titre suivant : Jardins Albert-Kahn : une « japonisation » redoutée

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