Disparition

Pierre Daix, témoin capital

Écrivain et journaliste, Pierre Daix livra à l’histoire de l’art des ouvrages majeurs. Scrutateur infini, il excella à mettre en mots les vies et les destins. Il s’est éteint à l’âge de 92 ans

Par Colin Lemoine · Le Journal des Arts

Le 10 novembre 2014 - 700 mots

Témoin privilégié du XXe siècle, Pierre Daix s’est éteint le 2 novembre à l’âge de 92 ans. Figure de la Résistance rescapée du camp de Mauthausen, ami intime de Pablo Picasso et auteur d’ouvrages majeurs en histoire de l’art, l’écrivain et journaliste savait trouver les mots pour analyser l’œuvre de grands artistes mais aussi pour raconter la vie de François Pinault.

PARIS - Né le 22 mai 1922, à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), quelques mois avant la mort de Proust, qui enterrait avec lui un monde, Pierre Daix connut tout du XXe siècle, absolument tout : les honneurs, les horreurs, les plus grands et les plus petits, tous ceux qui comptèrent, créèrent et crièrent (lire son Portrait dans le JdA no 356, 4 nov. 2011).

Fils d’un modeste employé de mairie, le jeune homme fut saisi par l’art dès ses études brillantes, menées au lycée Henri-IV, à Paris, puis à la faculté de lettres de Rennes. L’art, comme un combat, comme un risque. Pour s’engager, toujours. En 1939, l’étudiant âgé de 17 ans adhére au Parti communiste français puis, l’année suivante, entre dans la Résistance avant d’être déporté au printemps 1944, via Fresnes puis Clairvaux, dans le camp de concentration autrichien de Mauthausen, où sa pratique de l’allemand lui permit d’intégrer l’administration et, partant, de sauver des vies dites « irrécupérables ». Exil immonde dont cet autobiographe enragé tira un témoignage décisif (Bréviaire pour Mauthausen, 2005, éd. Gallimard) et un roman éclatant (Les Revenantes, 2008, éd. Fayard).
À la Libération, Pierre Daix devint chef du cabinet du communiste Charles Tillon, au ministère de l’Air, de l’Armement et de la Reconstruction, et, plus encore, rencontra Pablo Picasso par l’entremise de Paul Éluard. En l’Espagnol, qui venait de porter la dernière main au tableau Le Charnier (1944-1945), l’ancien matricule 59807 découvrit un frère d’armes et un ami de sang. Mieux, un exorciste, auquel il allait consacrer une quinzaine d’ouvrages, dont un prodigieux Dictionnaire Picasso (2005, éd. Robert Laffont), récemment augmenté, preuve de son incontestable autorité (2012).

Engagé

Pour avoir connu tôt, si tôt la barbarie, Pierre Daix ne se départit jamais de ce regard trop brillant et de ces lèvres pincées qui, irrésistiblement, laissaient penser qu’il venait de pleurer. Libre, insensible au conformisme, il affectionnait les chemises bleues et détestait les vestes, sauf à leur accrocher des distinctions, ainsi celle, suprême, de grand-croix de la Légion d’honneur que lui remit le président François Hollande, en juillet 2012, quelques semaines après son élection.

Sa veste, il la retourna une fois. Et à raison. Rédacteur en chef des Lettres françaises, où il rencontra sa première épouse – Anne Villelaur, traductrice de littérature américaine –, Daix démentit catégoriquement l’existence d’un système concentrationnaire en Union soviétique, et ce depuis 1949, date d’un article paru dans la revue dirigée par son ami Aragon. Ce n’est qu’en 1957 que l’intellectuel, d’autant plus violent qu’il était repenti, devint l’un des plus féroces contempteurs du stalinisme puis du communisme, avec lequel il rompit définitivement en 1971 (Les Hérétiques du PCF, 1980, éd. Laffont).

Graphomane, Pierre Daix aborda nombre de rivages. Sa plume alerte et son sens de l’Histoire en firent un grand conteur, habité par la totalité. Aussi ses genres de prédilection furent-ils essentiellement la biographie – celles de Picasso (1977, éd. Le Seuil) et de Manet (1983, éd. Fayard) sont exemplaires – et le catalogue anthologique – ceux consacrés à Hartung (1991, éd. Bordas-Gervis), Soulages (2000, éd. Ides et Calendes) et Zao Wou-ki (2000, éd. Ides et Calendes) sont importants. Et, qu’il écrivît sur Delacroix, Cézanne ou Rodin, sur tant d’artistes pourtant balisés, Daix sut toujours, à l’image d’un Michel Ragon, trouver des mots nouveaux, oser une langue vive, jamais entachée par de petits arrangements avec la facilité. Rare.

Sa participation au libéral Quotidien de Paris, entre 1980 et 1985, attesta une évolution idéologique, pas une virevolte ni une compromission, dont Pierre Daix s’ouvrit dans ses récentes Mémoires (Tout mon temps, 2001, Librairie Arthème Fayard). La liberté inaltérée, donc. Le vieil homme, il y a quelques jours, visitait le nouvel accrochage du Musée Picasso en compagnie d’un François Pinault en ces mots aujourd’hui meurtri : « Je perds un ami cher un compagnon de vie irremplaçable, un frère en humanité. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°423 du 14 novembre 2014, avec le titre suivant : Pierre Daix, témoin capital

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