Cristina Acidini Luchinat, ex-directrice des musées de Florence

La patronne des musées de Florence, dont la démission a fait l’effet d'une bombe dans le monde de l’art, fait face à la controverse.

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 29 octobre 2014 - 1705 mots

Ayant quitté la direction des musées de Florence, Cristina Acidini Luchinat fait face à une nouvelle controverse.

Dans son bureau à l’arrière de la Galerie des Offices, où les touristes se pressent pour voir les trésors des Médicis, Cristina Acidini Luchinat a toujours digne allure. Tailleur bon chic bon genre, elle toise son interlocuteur à travers ses petites lunettes rondes, agrémentant un discours bien rodé d’un petit sourire quand elle a le sentiment de ne pas emporter la conviction. En fait, cet automne, la patronne des musées de Florence fait ses cartons. Début septembre, elle a présenté sa démission en réaction à un projet de réforme des musées. Dans un pays qui souffre depuis des années de la déréliction de la culture, le geste a été salué comme une marque de courage de la part d’une personnalité considérée comme étant d’une grande compétence et intégrité.

Mais, en Italie, rien n’est jamais simple. Aujourd’hui, cette grande dame qui a régné si longtemps sur le patrimoine de la cité se retrouve dans l’œil du cyclone. Peu après, la presse a révélé sa mise en examen suite à une enquête fiscale. À en croire son impassibilité, il en faudrait plus pour déranger cette chevelure soigneusement permanentée.

Au cœur de la controverse se trouve la réforme annoncée en juillet par le ministre de la Culture, Dario Franceschini. Le gouvernement de Matteo Renzi affiche sa louable intention de débureaucratiser un système ankylosé (et, ce qu’il ne dit pas, mais pense très fort, atteint lui aussi par la corruption de l’argent au noir). Il projette de donner l’indépendance à vingt musées nationaux, dont les Offices. L’idée s’inscrit dans la logique d’une politique économique d’assainissement. Mais cette réforme prévoit aussi de nommer à leur tête des « experts indépendants ». Entendez, aussi bien, des banquiers ou des entrepreneurs. Et des copains de la majorité, certainement… Ces gestionnaires seront idéaux, selon le ministre, pour ancrer les musées dans l’industrie du « tourisme culturel ». « Ce n’est pas un petit changement, mais une véritable révolution qui nous permettra de développer les investissements dans le patrimoine culturel », a-t-il lancé, laissant craindre à beaucoup une dérive mercantile pour pallier l’effondrement de la tutelle.

Résistance et vendetta
Dans tous les cas, ce projet a pour effet de casser les « pôles muséaux » formés dans les grandes villes. Autrement dit, abandonner les systèmes de mutualisation qui aidaient, bon gré mal gré, des petits musées à survivre : celui de Florence compte ainsi 27 institutions, villas et même jardins publics sous son aile. Cristina Acidini a conscience d’être désormais considérée comme un symbole de la résistance à ces changements. Elle refuse pour autant d’endosser l’habit d’une pasionaria. Aujourd’hui, la conservatrice adopte un ton en demi-teinte. Elle juge bon de démentir les commentaires de presse : « Je ne suis pas contre la réforme. J’ai juste trouvé que le nouveau statut qui m’était proposé ne me convenait pas. » Elle aurait dû baisser d’un cran son grade dans la fonction publique, tout près de la retraite. Postuler à la direction des Offices ? L’idée est retoquée avec tout le sérieux qui s’attache à la personne : « une impératrice n’accepte pas d’être envoyée diriger une province ». Elle ne sort pas pour autant un aspic de son tiroir. Mais enfin, sur le fond, cette réforme… n’y a-t-il pas tout à craindre, dans ce pays, de voir des hommes d’affaires parvenir à la tête des musées ? « Il peut y avoir des risques… mais non, ce peut être une bonne idée de choisir des personnalités plus aptes à la gestion… », convient-elle.

La même impassibilité est opposée à ses ennuis judiciaires. En cause, un contrat d’assurance passé, avant son arrivée à la tête de la surintendance, avec la compagnie Axa-Art pour des transports d’œuvres. Il est reproché à son prédécesseur, Antonio Paolucci, qui dirige désormais les musées du Vatican, de l’avoir signé sans appel d’offres. Cristina Acidini est mise en cause pour avoir poursuivi l’application du contrat. À la mi-septembre, ses bureaux ont été perquisitionnés. Deux semaines après sa lettre de démission. Mais, nous rassure-t-elle, « il n’y a aucun rapport entre les deux ». L’enquête fiscale a démarré bien plus tôt ; elle n’a donc pas entraîné sa démission et « il n’y a aucune vendetta » à son égard : « les procédures de contrôle des fonctionnaires sont tout à fait normales ; vous savez, je ne cherche surtout pas le scandale ». Et les fuites dans la presse sur sa mise en examen, juste après sa démission, est-ce une coïncidence ? Là, quand même, la dame peut difficilement réprimer un sourire en haussant légèrement les sourcils. La permanente ne bouge pas.

Professionalisme salué par ses pairs
« Dans ce dossier, il n’y a aucun soupçon d’enrichissement personnel », fait observer son avocat. L’intéressée poursuit : « Il faut se rendre compte de la responsabilité énorme qui pesait sur moi seule, avec de très faibles moyens : pendant ma mandature, je signais 12 000 protocoles chaque année… je dirigeais 300 agents. Bien sûr, il y a eu des erreurs ! Mais j’ai toujours agi pour le bien public. » Milly Passigli, qui s’occupe de la production de la société Culturespaces en Italie, et qui a donc monté des prêts d’œuvres pour des expositions au Musée Jacquemart-André comme celle en cours sur le Pérugin, sur Fra Angelico ou Canaletto, confirme : « elle a toujours été d’une honnêteté et d’une correction exemplaires ». Cet avis est partagé par 42 directeurs aussi respectés que Neil MacGregor (British Museum), Glenn Lowry (du MoMA), Nicholas Serota (de la Tate), Douglas Druick (de l’Art Institute de Chicago), Michael Govan (du Lacma), Hartwig Fischer (des musées de Dresde), Wim Pijbes (du Rijksmuseum) dans un message signé le 1er octobre à Francfort, ils ont exprimé leurs regrets de la voir partir, en saluant « la rigueur et le sens élevé d’une bonne pratique muséale » dont elle a fait preuve pour « renforcer les musées de Florence tout en les ouvrant à la coopération internationale ». Elle-même insiste sur son travail en faveur des lieux plus modestes comme San Marco ou les résidences médicéennes. Elle évoque la restauration du premier étage de la galerie de l’Académie, l’introduction de la musique, l’installation d’un ascenseur au Bargello, ou encore ces villas et jardins gratuits, dont l’entretien peut être assuré par la manne apportée par les Offices : « ce qu’ils vont devenir, nous verrons bien… il faudra trouver un nouvel équilibre ». Le budget du pôle est pourtant modeste, avec 20 millions d’euros en billetterie, revenus commerciaux et locations d’espace. Il y aurait beaucoup à dire sur l’accrochage et l’éclairage des Offices, mais Cristina Acidini a beaucoup fait pour améliorer l’accueil des visiteurs. Elle souligne elle-même « la difficulté de cet endroit, trop petit, aux escaliers incommodes » dans une ville polluée la moitié de l’année par « un afflux massif de touristes », qui se précipitent tous dans le musée central.

Liberté de pensée

Fille unique d’un homme qui travaillait dans le cinéma, avec la Gaumont, elle a ressenti une « immense liberté, la liberté de penser » à l’université, où elle a étudié l’architecture avant de s’orienter vers les beaux-arts. Elle n’a jamais abandonné sa vocation d’historienne d’art, comme en témoignent ses publications. Longtemps, elle a dirigé le laboratoire et centre de restauration de l’Office des pierres dures, où elle laissé un excellent souvenir. Elle est aussi l’épouse d’un professeur de chimie, dont la spécialité, la biologie moléculaire, est cependant éloignée de l’étude des pigments. Leur fils s’est lui aussi mis à la chimie. On n’en saura guère plus : l’intéressée se récrie dès lors qu’on paraît s’intéresser à une image un peu plus personnelle.

Indépendante, autoritaire même, elle ne s’est pas faite que des amis. Elle ne dit mot de ses rapports avec le chef du gouvernement, mais ils étaient notoirement difficiles quand il était maire de Florence. Alors qu’il offre un nouvel espoir à une Italie désorientée, Matteo Renzi était un élu qui se piquait de culture. En 2012, prêtant foi aux spéculations d’un professeur de San Diego, le maire s’est proclamé « certain » que La bataille d’Anghiari de Léonard de Vinci avait été couverte par la peinture de bataille de Vasari au Palazzo Vecchio, envisageant même un temps « de déposer l’œuvre de Vasari pour récupérer le chef-d’œuvre de Léonard. » Les médias ont adoré. Après des analyses qui n’ont rien donné de concluant, Cristina Acidini a douché cet enthousiasme planétaire. Au nom du gouvernement, elle a donné l’ordre de mettre un terme aux prélèvements, provoquant la colère dudit professeur. « Compte tenu de son tempérament, Renzi n’a sûrement pas tourné la page. Certains ont surnommé le projet sur le patrimoine “la loi Acidini”, faite sur mesure pour se débarrasser de la directrice des musées », rapporte Francesca Pini, journaliste du Corriere della Sera. « Mais par-dessus tout, elle paie l’erreur du crucifix de Michel-Ange. » Acheté par le gouvernement à un antiquaire pour 3,2 millions d’euros en 2008, ce petit objet a donné lieu à une belle controverse et même une instruction judiciaire, car plusieurs spécialistes contestent son attribution. Il n’existe de toute manière aucun précédent qui permette une comparaison. Le Musée Bargello, où il a été déposé à Florence, l’expose dans une salle à part, plutôt que de l’accepter dans celle dédiée à Michel-Ange. « Ce n’est pas moi qui ai décidé de l’acquisition, se défend Cristina Acidini, qui ne veut toujours pas voir “d’erreur”. « Il a quand même été assuré pour 18 millions lors d’une exposition au Japon ; certes, il y a débat, mais c’est une dispute scientifique, ce n’est pas un objet de scandale. »

Au moment de son départ, son petit sourire, elle l’adresse à un portrait d’Ana Maria Luisa de Médicis accroché dans son bureau, envers laquelle elle dit « nourrir une affection particulière », la femme qui « sauva le patrimoine des Médicis en évitant sa dispersion, par la signature d’un document ». Et aussi la dernière des Médicis.

Cristina Acidini Luchinat en dates

1951 Naissance à Florence
1991 Surintendante adjointe du patrimoine de Florence
2000 Directrice de l’Office des pierres dures
2007 Surintendante du pôle muséal
2014 Démission de son poste

Consulter la biographie de Cristina Acidini Luchinat

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°422 du 31 octobre 2014, avec le titre suivant : Cristina Acidini Luchinat, ex-directrice des musées de Florence

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque