Entretien

Marc Hemeleers : « L’art, un outil de diversification »

Administrateur délégué d’Eeckman, Art & Insurance

Pour Marc Hemeleers, administrateur délégué au sein de la compagnie de courtage d’assurance Eeckman, Art & Insurance, la financiarisation du monde de l’art pose des questions éthiques et économiques.

Comment se présente l’année 2014-2015 sur les marchés de l’art français et européen ?
Les rapports statistiques, par exemple ceux d’Artprice, permettent d’élaborer deux types de conclusion : soit l’on considère que le marché de l’art est une bulle spéculative qui finira par exploser ; soit l’on considère que, malgré des valeurs toujours croissantes, il est une niche suffisamment indépendante et stable pour continuer à offrir de bonnes perspectives.

Le marché de l’art est-il chaque jour plus globalisé, comme on a tendance à le penser ?
Privatisé, d’abord. On constate sur certains marchés une privatisation des projets et des expositions : galeries, foires internationales, musées privés se développent. Est-ce un désaveu ou juste un léger recul des institutions publiques ? Cela semble une tendance globale.

Comment cette tendance se traduit-elle concrètement dans votre métier d’assureur ?
Le phénomène sur lequel tout le monde s’accorde, c’est la pression à la baisse sur les taux et donc sur les primes versées par l’assuré. L’art est devenu un moyen de diversification pour de gros acteurs financiers internationaux. En raison de la relative stabilité du secteur, des investisseurs considèrent l’assurance d’œuvre d’art comme une activité intéressante : ils montent de nouvelles compagnies ou investissent sur des petits acteurs existants.

Pourquoi cela affecte-t-il les primes d’assurance ?
Prenons un exemple : pour l’organisateur d’une exposition, l’assureur calcule le montant de la prime en fonction d’une série de paramètres techniques propres à l’appréciation d’un risque (capitaux, nature des œuvres, conditions de transport, durée…). Il s’agit notamment d’appliquer un taux à la valeur totale assurée. Aujourd’hui, comme le nombre d’acteurs sur le marché de l’assurance augmente, il en résulte ce que l’on appelle une grande « capacité d’assurance », donc une forte concurrence, qui crée une pression sur les prix. L’approche, commercialement plus agressive, se fait au détriment de l’appréciation technique d’un risque, tel que devrait le faire l’assureur. Les taux baissent, les primes avec.

Qu’est-ce que cela change dans la pratique de votre métier ?
Quand le taux est une arme commerciale et non le résultat d’un calcul censé apporter de la confiance aux deux parties, on est dans un exercice d’équilibriste : mesurer la fiabilité de l’assureur (solvabilité, souplesse) comme celle du client (professionnalisme, gestion des risques). Nous agissons comme une banque privée raisonnable, qui tempère le risque pour son client tout en cherchant le meilleur rendement (taux).

Sur quel segment ce phénomène est-il le plus fort ?
Sur les grands appels d’offres internationaux, où l’on retrouve toujours les mêmes acteurs. Dans ces « public lines », il y a un déficit d’argent et donc une attention particulière – voire exclusive — portée à la prime d’assurance. Avec les galeries, internationalisées depuis plus longtemps, la baisse des taux est moins récente mais a atteint une limite dangereuse.

Vous dites que les taux ont atteint un plancher. Et maintenant ?
Soit des acteurs se retirent du marché, et les taux remontent peu à peu. Soit les taux restent bas et des clashs surviendront. Mais, aussi longtemps que la finance internationale et sa liquidité seront ce qu’elles sont, ces dynamiques perdureront.

Que pensez-vous de la généralisation des prêts d’œuvres payants ?
Pour nous, la logique est identique : monétarisée ou non, si la convention de prêt est bien conçue, alors le contrat d’assurance n’est qu’un transfert de risque relativement simple et le sinistre est une occurrence regrettable mais anticipée. Le problème vient toujours d’une convention de prêt ignorée ou mal établie. Notre expertise devrait intervenir en amont, lors de la rédaction.
Concernant les prêts payants : entre deux institutions publiques, le principe me semble inapproprié, car elles sont in fine solidaires. Quand on fait intervenir un acteur privé dans l’équation, il faut voir au cas par cas.

Et sur les rétrocessions aux prêteurs qui imposent leur assureur ?
Une bonne mise en contact est précieuse, mais nous préférons ne pas rémunérer ce service. Notre position peut sembler naïve, mais on a vu certains comportements répréhensibles se terminer – logiquement – devant les tribunaux.

Comment se porte le marché français de l’assurance d’œuvre d’art ?
Côté marchés publics, il est historiquement fermé. En quinze ans, de petites améliorations ont vu le jour, néanmoins. Sur les galeries et les privés (plus de 50 % de notre activité), il est ouvert mais très compétitif, avec des taux parfois fous. Une autre spécificité française est l’importance du politique, à même de changer les mentalités et le statut des collectionneurs : à court terme, on pense au feuilleton de l’intégration des œuvres d’art à l’ISF. À long terme, la transparence comme valeur phare dessine une tendance lourde qui aura de nombreuses conséquences.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°421 du 17 octobre 2014, avec le titre suivant : Marc Hemeleers : « L’art, un outil de diversification »

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