Nomination

David Caméo, directeur des Arts décoratifs

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 2014 - 1972 mots

PARIS

Cet administrateur, passionné de la création et de la matière, est chargé de relancer le Musée des arts décoratifs, après avoir redonné vie à la Manufacture et au Musée de Sèvres.

« Il a conquis les cœurs », souffle Olivier Gabet avec lequel il mène un tandem au Musée des arts décoratifs. À 62 ans, David Caméo, qui arbore un long curriculum vitae, pourrait faire figure de prototype des administratifs et technocrates ayant investi le domaine de la culture, au grand dam des conservateurs. Il a juste oublié l’ego qui accompagne la formule.

Proche des socialistes, David Caméo est un enfant de la méritocratie républicaine. Il est né à Angoulême, fils unique d’une mère secrétaire et d’un père travaillant dans la joaillerie. Ce dernier, Espagnol venu d’Aragon, avait œuvré pendant la guerre en Savoie comme maçon dans les galeries pour le barrage de Tignes, avant de se faire sertisseur en bijoux. « Il avait une dextérité et une ingéniosité qui en faisaient presque un créateur. Même si je n’ai pas suivi sa voie, je suis convaincu que ses dons m’ont profondément influencé. Il avait vraiment de l’or dans les doigts », souffle son fils, en livrant un jeu de mots involontaire. « Mon père aurait voulu que j’intègre l’École Boulle. Je crains de lui avoir fait défaut : je sais à peine planter un clou. » Quant à lui confier une pioche pour creuser un barrage, mieux vaut ne pas y penser, vu le gabarit fluet d’un homme qu’on a toujours connu gagné d’une calvitie précoce. Mais quand il plaisante, s’allume dans ses yeux bleu clair une irrésistible lueur.
Il a suivi sa scolarité dans un établissement religieux, le collège Saint-Paul, dont le père supérieur, plutôt de gauche, avait accueilli en son temps un certain François Mitterrand, qui a toujours gardé un œil sur la région de son enfance. Le jeune David s’est ensuite inscrit à la faculté des sciences politiques, à Bordeaux. C’est l’époque où foisonne en ville le festival Sigma, dans lequel Roger Lafosse fait défiler, après les Pink Floyd, le Living Theater, le Grand Magic Circus de Jérôme Savary, la trompette de Miles Davis, la voix de haute-contre de Klaus Nomi, les ballets de Carolyn Carlson ou le premier cirque de Bartabas. Le jeune David découvre la richesse des années 1970, après avoir vécu ses premières émotions à la vue de l’art roman. Au Centre d’arts plastiques contemporains que vient de créer en 1973 Jean-Louis Froment, il découvre Andy Warhol, une installation de Christian Boltanski ou une performance de Gina Pane…

Militant PS
Il ne veut pas alors préparer l’ENA qui lui ouvrirait la voie royale du service public. Le journalisme l’attire davantage. Sa carrière sera brève. Pour Charente Libre et Sud-Ouest Angoulême, il couvre des événements comme le Festival de musique contemporaine qui jette ses derniers feux à Royan. En 1976, il adhère au Mouvement de la jeunesse socialiste. En 1977, il rejoint une liste d’union de la gauche qui emporte largement les municipales à Angoulême. Il propose de s’occuper de la culture. Il se souvient encore de la mine déconfite du préfet quand il organisa un symposium avec des artistes comme ORLAN, qui avait déjà commencé à montrer son corps sous toutes les coutures, ou Ernest Pignon-Ernest, bien décidé à couvrir la ville d’affiches antimilitaristes. Étienne Féau,  alors directeur du musée, et qui a gardé un bon souvenir de l’adjoint à la culture, s’en souvient comme d’un âge d’or : « Nous étions jeunes, avec une municipalité qui consacrait une grande part de son budget à la culture, et nous agissions dans une liberté totale, en phase avec le temps ». Et la ville est parvenue à enrayer son déclin démographique. David Caméo s’attache notamment à développer le festival de la bande dessinée, encore embryonnaire, né quatre ans plus tôt. « C’est là que j’ai appris que la culture pouvait devenir un vecteur de la politique dans le sens noble du terme. Le festival à mes yeux trouvait ancrage dans la grande tradition papetière de la ville. En même temps, il pouvait s’accrocher sur la création, en invitant des dessinateurs comme Druillet, Margolin ou Bilal. D’où l’idée de pérenniser cette présence en ouvrant un centre international de la BD et de l’image, confié à l’architecte René Castro. Cette structure a pu ainsi bénéficier de l’essor inattendu de la BD, aussi bien dans le registre destiné aux enfants que dans celui des adultes. Certains auteurs lui ont donné des planches très tôt ». En 1978, le jeune militant socialiste rencontre Jack Lang. « Sans cette expérience locale, je n’aurais pas eu ce coup de chance ». En 1981, la gauche parvenue au pouvoir avec l’élection de François Mitterrand, il aura ainsi à cœur de toujours pousser les régions. Il reste élu local jusqu’en 1989, mais, dès sa création, il lui est proposé d’intégrer la délégation aux arts plastiques (DAP) mise en place par Claude Mollard et Michel Troche. L’état de l’art vivant n’avait rien à voir avec celui que nous connaissons aujourd’hui. Pratiquement, il n’avait alors pas droit de cité. La création était sinistrée. Les deux hommes se sont rejoints pour la relancer, en créant des circuits leur permettant de contourner le conservatisme des institutions. Énarque rocardien, éternel compagnon de route de Lang, Claude Mollard a créé la DAP en 1982, après avoir concouru à la naissance du centre Pompidou et modernisé le Musée des arts décoratifs que Caméo dirige aujourd’hui. Il s’est retrouvé avec Michel Troche, venu de la veine militante, pour porter l’art vivant dans les lieux les plus reculés et insolites.

Au sein de cette division, David Caméo poursuit son action avec Dominique Bozzo, l’homme de la rigueur, qui tient à faire entrer l’art contemporain au musée, et François Barré, avec lequel il se sent manifestement plus d’affinités électives. « Nous avons beaucoup en commun, avoue ce dernier, à commencer par le plaisir partagé dans le travail. Dans une administration, il y a toujours des petites querelles, des jalousies ; David, lui, se montrait toujours cordial et amical. Nous formions une petite équipe soudée par l’enthousiasme, et il en était le parangon ». Son émule avoue avoir été « très influencé par le style de François Barré, lequel [l’a] confirmé dans [son] côté touche-à-tout, dans les prémisses de l’art contemporain, mais toujours réfléchissant à l’objet et tenant à la notion d’artiste-artisan ». L’intéressé retrouve Rue de Valois les fondamentaux expérimentés en Charente : « J’ai rejoint cette mise en route d’une politique nationale qui s’applique au terrain, avec l’instauration des fonds de la commande publique, l’essor des expositions, le lancement des écoles d’art en province ou la création des Fonds régionaux d’art contemporain. » À cette époque bénie, personne ne se doute qu’en démultipliant l’offre, le soutien public risquera quelques décennies plus tard de craquer sous la charge…

Un diable bondissant
En 1997, David Caméo rejoint le cabinet de la nouvelle ministre de la Culture, Catherine Trautmann, dont il devient le conseiller aux arts plastiques et aux musées. Quand Catherine Tasca reprend le portefeuille en 2000, elle souhaite le garder. « J’étais heureuse de m’appuyer sur sa grande compétence et sa connaissance des artistes et de ce monde, raconte-t-elle, mais il avait aussi cette énergie joyeuse qui le caractérise ». David Caméo est alors appelé à Matignon à succéder à David Kessler comme conseiller pour la culture auprès de Lionel Jospin, dont il assure qu’il n’était pas si imperméable aux beaux-arts. L’expérience prend fin au désastre électoral de 2002, quand le candidat Jospin est éliminé au premier tour par Jean-Marie Le Pen. Le nouveau ministre s’appelle Jean-Jacques Aillagon. Les deux hommes s’entendent, au point que celui-ci appellera, dix ans plus tard, David Caméo à le rejoindre lors de son passage éphémère aux Arts décoratifs. Quand le nouveau ministre de Jacques Chirac demande ses souhaits à David Caméo, il est tout surpris de l’entendre parler de Sèvres, qui a dû lui sembler un enterrement de première classe. « Mais je retrouvais là ma passion pour la matière, le verre, le grès, la céramique, que j’ai toujours aimé collectionner, Sèvres évidemment, mais aussi Vallauris ou la porcelaine de Chine, explique l’intéressé, et j’étais convaincu que je pouvais réaliser là un projet à la fois culturel et économique ». « Il a réussi à s’entendre avec la nouvelle majorité, ce qui n’était pas simple, pour réveiller une belle endormie », résume Catherine Tasca. « Il a redonné vie à la manufacture de Sèvres et réussi à dépasser une séparation conflictuelle entre la manufacture et le musée pour en faire un ensemble dynamique », poursuit Barré. Au sein de l’établissement public auquel il a donné naissance en 2010, il joint la Manufacture de la porcelaine de Limoges. David Caméo fait revenir à Sèvres des designers et des artistes comme Louise Bourgeois, Sottsass, Penone ou Barcelo. « Je voulais prouver qu’on pouvait faire du Marie-Antoinette tout en faisant appel aux plus grands créateurs du temps ». Onze ans, ce n’était pas trop long ? « Non, ce sont des paquebots, qu’on ne fait pas bouger comme cela. Il y a 300 céramistes dans la maison. Il fallait la relégitimer, définir une stratégie dans une logique de mutualisation, lui donner de la force et des outils, former des jeunes en interne, travailler avec les collectivités – je tenais beaucoup à cela aussi… » Au Comité Colbert, cette association des industries du luxe dont il préside la commission création, il a réussi, selon le joaillier Lorenz Baümer, « à fédérer des énergies très diverses, en trouvant des ouvertures vers des personnalités comme Jean de Loisy, le magazine Domus ou le Central Saint Martins College of Art and Design à Londres… Toujours pétillant et plein d’idées… Un diable bondissant… Son plus grand défaut, c’est qu’il le cache bien ».
Au Arts décoratifs, rue de Rivoli, dont il est désormais le directeur général, il a ainsi accueilli cet automne l’exposition du magazine AD ouverte à des décorateurs comme Graf ou Pinto, afin de « renouer avec l’esprit de la maison des années 1900 ». Il voudrait impulser une « synergie » avec les deux écoles, les ateliers du Carrousel, qui accueillent 2 000 enfants, et l’école Camondo, avec ses 330 élèves. Le caractère hybride de l’établissement, mi-public mi-privé, et le défi financier ne sont pas pour lui déplaire. Sous statut associatif, comptant 480 agents, il gère une collection publique au sein du Palais du Louvre. Sur un budget de 31 millions d’euros, 14 millions seulement sont apportés par l’État. Caméo parle de « vision économique », « recherche impérative d’équilibre », location de salles, expositions en Australie, en Asie ou dans le Golfe, recherche d’un réseau international, ouverture des écoles vers l’étranger, liens avec le Louvre et autres établissements voisins… Il ne nie pas les ratages de la réouverture du musée en 2006, reconnaissant la nécessité de revoir les parcours et la signalétique pour les 400 000 visiteurs. David Caméo est « la bonne personne au bon endroit », se félicite Olivier Gabet qui est du côté de la direction scientifique. « Un beau duo, très complémentaire, se félicite Hélène David Weill, qui a présidé le musée pendant dix-huit ans, David le contemporain, avec son enthousiasme et sa curiosité, Olivier plus traditionnel, ils se complètent très bien et pourront donner un nouvel essor ». « Vous savez, des esprits chagrins, j’en ai croisés, conclut Catherine Tasca, lui, c’est vraiment un homme du gai savoir ».

David Caméo en dates

1953 Naissance à Angoulême (Charente)
1977 Adjoint à la Culture à Angoulème
1982 Rejoint la direction des Arts plastiques
1997 Conseiller musées et arts plastiques de la ministre de la Culture Catherine Trautmann
2000 Conseiller culture du Premier ministre, Lionel Jospin
2003 Directeur de la Manufacture de Sèvres
2014 Directeur général des Arts décoratifs

Retrouvez la fiche biographique complète de David Caméo sur : www.LeJournaldesArts.fr

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°420 du 3 octobre 2014, avec le titre suivant : David Caméo, directeur des Arts décoratifs

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