Témoignage

La dialectique de Gilles Peress

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 30 septembre 2014 - 816 mots

À l’occasion d’une donation au Musée de l’Élysée d’images extraites de la deuxième édition de son livre « Telex Iran », le photographe présente ses images de la révolution iranienne.

LAUSANNE - On s’apprêtait à voir cet automne au BAL l’« Irlande du Nord » de Gilles Peress. Annoncée comme un événement depuis l’ouverture de cet espace, elle est reportée d’une année sur l’autre. En mai dernier, au Musée de l’Élysée à Lausanne (Suisse), confirmation avait été donnée par ailleurs que septembre pourrait également donner lieu à une exposition Gilles Peress sur l’Iran. La prudence avait été de rigueur comme au BAL. Juillet a levé les incertitudes du côté helvétique ; alors que le BAL a dû une nouvelle fois reporter son exposition, le Musée de l’Élysée à la faveur de la donation d’un collectionneur genevois des cent tirages originaux de la deuxième édition de Telex Iran (édité chez Scalo en 1997) présente soixante de ces photographies complétées des vingt tirages grand format du portfolio, présentés aux Rencontres d’Arles en 2011 dans le cadre des « 30 ans de photographie au New York Times Magazine » et inclus dans cette donation.

L’histoire d’un ouvrage majeur
Trente ans après sa première publication aux éditions Contrejour, auréolé du Prix du premier livre décerné par l’association Paris Audiovisuel et Pathé Kodak, ce recueil depuis longtemps épuisé signe la particularité, la force du propos et du positionnement de Gilles Peress, tant par rapport à ce qu’il photographie (ici la révolution iranienne de 1979), à l’actualité et à sa couverture par les médias qu’au livre de photographie lui-même et à son pendant, l’exposition. L’exposition en solo tient chez lui à l’édition d’un livre. Le report de l’exposition « Irlande du Nord » au BAL fait écho à celui de la publication  de l’ouvrage chez Steidl et dont le photographe annonce « la parution au printemps prochain pour une exposition au BAL au 2e semestre 2015. » « Le livre est un geste », dit-il. « Penser que l’on est en contrôle du livre est une arrogance futile. Il est une fatalité que l’auteur doit subir (…) Telex Iran comme Farewell to Bosnia ont été des livres faciles à construire, celui sur l’Irlande du Nord ne l’est pas. » Le livre tient une place centrale dans la création et la pensée du photographe né en 1946 à Paris et passé par Sciences Po Paris, puis par les cours de philosophie de Michel Foucault et Étienne Balibar à l’Université de Vincennes entre 1968-1971. Dans sa bibliographie, les ouvrages sont pourtant peu nombreux depuis Telex Persan, premier titre de l’ouvrage paru en 1984 chez Contrejour devenu Telex Iran lors de son édition la même année chez Aperture et réédition chez Scalo en 1997. « Ce fut une concession au manque de culture des Américains qui ne connaissaient pas Montesquieu », explique-t-il. Le terme de concession prête à sourire chez cet homme radical, consciencieux, à l’exigence, la vigilance et au perfectionnisme légendaires qui a toujours refusé les catégories, cassé les codes (en particulier ceux du reportage et du récit) et trouvé les moyens de sa liberté au travers de prix, bourses ou mandats de fondation ou de collectionneurs.

Un langage maîtrisé
Au Musée de l’Élysée, c’est lui qui signe le commissariat, merveille de justesse, de finesse, de résonances dans l’accrochage et la manière de penser le livre de photographies sur les murs d’un musée. Photographies cadrées de marie-louise se fondant au blanc du cadre, prolongement du papier du livre pour que le regard ne s’attache qu’à la lecture de l’image, à ses différents plans, détails, ambiguïtés, ellipses et ruptures. L’Iran s’est inscrit à la même époque où il séjournait par période en Irlande du Nord. « Je photographiais depuis un certain temps et j’avais compris la nature équivoque, ambiguë de la réalité. J’ai donc commencé à construire des images qui l’incorporaient et à photographier au bord du cadre, hors du cadre. (…) Prendre des photos, c’est comme poser des questions, ouvrir des portes », écrit Gilles Peress dans le texte qui devait accompagner l’édition d’Aperture de Telex Iran et que l’on peut lire dans l’exposition. En particulier sur l’extrême pauvreté en Iran.

Telex Iran est un livre de référence pour des générations de photographes. Sa réédition chez Scalo en 1997 a marqué aussi le début d’une longue amitié avec son fondateur Walter Keller (l’éditeur de ses autres ouvrages jusqu’à la fermeture de la maison d’édition en 2006), à qui le photographe dédie l’exposition après son décès à Zürich début septembre. Walter Keller, cofondateur du Fotomuseum de Winterthur, contribua aussi à faire rentrer Gilles Peress dans les collections de cette institution. L’entrée du set du livre dans les collections du Musée de l’Élysée et de celles du Fotomuseum de Winterthur fait de la Suisse le plus important collectionneur du photographe après les États-Unis, loin, très loin devant la France.

Telex Iran

Commissariat : Gilles Peress
Nombre d’œuvres : 80

Gilles Peress, Telex Iran

Jusqu’au 30 novembre au Musée de l’Élysée, 18 avenue de l’Élysée, Lausanne, Suisse, www.elysee.ch, mardi-dimanche 11h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°420 du 3 octobre 2014, avec le titre suivant : La dialectique de Gilles Peress

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque