Paroles d'artiste

Oliver Beer : « Nous sommes entourés de dessins, sans les voir »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 17 septembre 2014 - 753 mots

L’artiste britannique Oliver Beer signe une nouvelle œuvre sonore en lien avec l’architecture, chez Thaddaeus Ropac à Pantin.

Dans ses espaces de Pantin, la galerie Thaddaeus Ropac accueille Oliver Beer (né en 1985) qui y déploie une nouvelle œuvre sonore en lien avec l’architecture, des sections d’objets insérées dans le mur et un film réalisé avec des enfants.

Comment avez-vous commencé à vous intéresser à la musique et à travailler sur la sonorité des architectures ?
J’ai suivi une formation en composition au Conservatoire en sachant que j’allais ensuite faire les Beaux-Arts à la Ruskin School de l’université d’Oxford (Royaume-Uni). Car si je souhaitais communiquer avec des musiciens et travailler avec la musique, je savais aussi que je voulais être artiste et travailler avec les arts plastiques, ceci sans pour autant différencier les deux domaines. Très jeune, j’ai été conscient que chaque espace architectural a ses propres notes. Je me demandais toujours pourquoi les gens ne profitaient pas plus de cette sonorité, de cette musique, puisque chaque pièce est comme un instrument. Il y a des grottes préhistoriques dans le sud de la France où l’on a identifié certaines marques qui correspondent exactement au lieu résonnant.

Je pense que cette relation très simple entre le corps et l’espace qui l’environne est beaucoup plus instinctive qu’on ne le croit. L’acoustique, la réponse de l’espace, est universelle et est dictée par les mathématiques et la physique. Mais ce qui est formidable, c’est que je ne suis ni mathématicien ni physicien et que je n’ai pas à y penser, c’est juste intuitif. Ce travail tient aussi de la sculpture. [Le critique d’art] Michael Fried a parlé du côté théâtral de la sculpture. Le bâtiment est mis en rapport avec le corps et le fait de remplir l’espace avec le son et la résonance nous oblige à repenser cet espace et la position de nos corps.

Votre installation sonore est ici fondée sur le décalage entre deux notes inscrites dans un schéma labyrinthique…
Le Resonance Project, comme s’intitule cette série, a jusqu’ici souvent reposé sur la présence de chanteurs. Ce que j’ai voulu faire à Pantin, c’était épurer la forme, supprimer l’aspect pathos car les gens trouvent toujours cette expérience extrêmement émouvante, mais en fait, c’est aussi quelque chose de minimal : c’est de l’espace et des notes, c’est abstrait. L’exposition s’intitule « Diabolus in Musica ». C’est un terme du Moyen Âge que l’on utilisait pour décrire un intervalle de notes. Bizarrement le rapport entre ces deux notes était considéré comme tellement dissonant que l’imagination populaire et surtout ecclésiastique a décidé que c’était l’évocation du malin. Et donc pendant quatre cents ans au moins cet intervalle a été absolument interdit dans toute la musique sacrée.

J’ai trouvé extraordinaire que deux notes abstraites aient pu provoquer une telle superstition et une telle subjectivité. Ici j’ai tout simplement voulu travailler l’idée de résonance en donnant un espace à chacune des deux notes qui ensemble évoquent le diable ; elles sont insérées dans un labyrinthe aux couloirs très étroits. On expérimente ainsi cette dissonance qui a obsédé l’imagination musicale pendant si longtemps.

Faites-vous un lien entre entendre et voir ?
Absolument ! Normalement les yeux priment sur les oreilles. Très souvent dans mes installations je prive les yeux de lumière pour mettre en valeur l’écoute. Le théoricien Michel Chion a beaucoup écrit sur le lien entre le son et l’image et il parle d’« audiovision », un sixième sens expérimenté à la frontière de ce qu’on voit et de ce qu’on entend.

Vous présentez aussi des objets – crayons, pipe, ampoule, balle de fusil, revolver, crâne, canne… – découpés en tranche et incrustés dans le mur. Ils posent la question d’une ambiguïté entre l’image et l’objet car le fait de les couper et de les insérer dans le mur en fait des images alors que ce sont encore des objets…
On voit là une section de l’objet sans savoir ce qu’il en reste derrière. M’intéresse aussi le lien à l’imagination de notre environnement. Ici on enlève quelque chose pour voir ce qui est là mais qu’on ne voit jamais, par exemple la pipe de mon grand-père qui n’a jamais pensé aux circuits et tuyaux qu’elle contient. Il s’agit aussi, en effet, d’éliminer la notion de volume et de transformer quelque chose de tridimensionnel en dessin. Là on laisse les objets se dessiner : par exemple l’ampoule, on a du mal à croire qu’il s’agit véritablement de l’objet. Nous sommes toujours entourés de ces dessins, sans les voir car ils n’ont pas été découpés.

Oliver Beer. Diabolus in musica

Jusqu’au 15 novembre, Galerie Thaddaeus Ropac, 69, av. du Général-Leclerc, 93500 Pantin, tél. 01 55 89 01 10, tlj sauf dimanche-lundi 10h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°419 du 19 septembre 2014, avec le titre suivant : Oliver Beer : « Nous sommes entourés de dessins, sans les voir »

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