Monographie

Sarkis - Les pôles des vivants

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 17 septembre 2014 - 451 mots

À Montbéliard, au Musée du château des ducs de Wurtemberg, Sarkis immerge
le visiteur dans une exposition bouleversante d’intensité diffuse.

MONTBELIARD - Le Panthéon s’est transporté à Montbéliard (Doubs). Pas le monument en lui-même mais une partie de l’âme de quelques-uns de ses « grands hommes », dont certains toutefois sont tombés dans l’oubli de la mémoire collective, alors que leur « grandeur » était censée les rendre inoubliables. Ce tour de passe-passe est l’œuvre du magicien Sarkis, qui au premier étage du Musée du château des ducs de Wurtemberg a convoqué soixante-dix-sept de ces figures par le biais de leurs signatures, toutes sorties de l’imagination de l’artiste et exécutées en néon bleu. Animées d’une densité lumineuse dont les variations sont fondées sur celles du souffle humain, elles flottent dans les salles, scandent les espaces, rythment les cimaises en débordant parfois des parois tandis que leurs câbles, accrochés de façon précise mais non régulière, imposent leur propre partition.

Leur répondent des photographies en noir et blanc d’autres oubliés, qui ont pour seule gloire, posthume, d’avoir leur portrait conservé dans les riches collections du musée, que Sarkis a explorées de fond en comble avant de concevoir son projet. Parmi quelque 600 000 objets les fonds recèlent entre autres trésors plus de 6 000 plaques photographiques d’anonymes montbéliardais, pour la plupart photographiés dans les années 1900-1940. Agrandis, près d’une centaine de ces clichés sont devenus des affiches de grand format, qui rythment pareillement les espaces en rencontrant les signatures bleutées.

Quelques objets sont disposés çà et là, selon l’habitude de l’artiste d’inclure des fragments d’expositions antérieures : ici des objets roulants recouverts de plumes rythment les pas.
Essentiel est d’ailleurs l’idée du rythme, donnée d’abord par les différences de niveau dans l’accrochage des objets et images. Mais aussi, au-delà de la respiration continue des néons, c’est l’exposition tout entière qui vibre au gré d’une bande-son composée par un musicien du conservatoire de Montbéliard à partir des mélodies d’une dizaine de boîtes à musique appartenant aux collections ; un son comme étiré, à l’image du temps et de l’espace brouillés qu’il accompagne désormais, qui se déplace d’une salle à l’autre, allant à la rencontre du visiteur avant de le happer plus avant vers l’intérieur.

Plus que magicien, l’artiste qui représentera la Turquie à la prochaine Biennale de Venise en 2015 se fait plutôt chaman, qui n’a pas son pareil pour interpeller les énergies et provoquer des circulations, convoquant des histoires afin de les faire revivre autrement, sans pathos, ni affect, ni nostalgie ou narration d’aucune sorte. Car au-delà de sa matière même, et c’est bien là ce qui est fort, loin d’être une histoire de mort, c’est une histoire de vie que cette exposition.

Sarkis. Les pôles des aimants

Jusqu’au 4 janvier 2015, Musée du château des ducs de Wurtenberg, cour du château, 25200 Montbéliard, tél. 03 81 99 22 61, www.montbeliard.fr, tlj sauf mardi 10h-12h, 14h-18h. Catalogue, éd. Musées de Montbéliard, 120 p., 15 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°419 du 19 septembre 2014, avec le titre suivant : Sarkis - Les pôles des vivants

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