Tauromachie : Goya, Picasso... et les autres

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 17 septembre 2014 - 694 mots

Le Musée d’art moderne de Céret brosse un large panorama de la corrida vue par les artistes, consacrant le génie de Goya et Picasso à travers leurs séries.

CERET - Les pièces phares des collections sont souvent le prétexte à organiser des expositions. Les coupelles tauromachiques de Picasso ont incité Nathalie Gallissot, qui a pris en 2012 la succession de Joséphine Matamoros à la direction du Musée d’art moderne de Céret (Pyrénées-Orientales), à rassembler pour sa manifestation estivale plusieurs œuvres anciennes et contemporaines illustrant la corrida.

Ces coupelles sont indiscutablement des joyaux. Picasso a peint la série de trente céramiques en six jours seulement à l’atelier Madoura à Vallauris en 1953, puis en a offert vingt-neuf au Musée de Céret et une à son ami et peintre Pierre Brune, fondateur du musée, en souvenir de ses séjours passés avant la guerre dans la ville catalane avec Braque. Elles sont toutes exposées (sauf une qui a disparu) et témoignent de la capacité de Picasso à s’emparer de tous les supports pour les plier à sa représentation du monde.

La forme des coupelles évoque naturellement celle des arènes, et l’ingéniosité du peintre semble ici presque trop évidente. Le peintre ose cependant toutes les perspectives et simplifications de formes, sans nuire toutefois à la signification de la représentation. Il n’a cependant pas voulu illustrer toutes les phases d’une corrida, préférant décliner le thème de l’affrontement du taureau avec le picador, le torero à cheval chargé d’affaiblir l’animal.

Ombres chinoises
La passion de Picasso pour la tauromachie s’exprime dans d’autres séries, dont certaines sont présentées à Céret. Ainsi en est-il de vingt-six aquatintes, réalisées en 1959, mais issues d’un projet d’illustration d’un traité sur la corrida débuté en… 1928. Ici l’artiste s’intéresse à tous les aspects de cette pratique avec la même spontanéité et économie de moyens que dans ses coupelles. Et malgré la différence de technique, il existe une forte parenté stylistique dans ces formes oscillant entre ombres chinoises et céramiques à figures noires de la Grèce antique.

Mais c’est un autre maître espagnol qui ouvre l’exposition, un peintre qui aurait nourri Picasso : Goya. Moins connue que les « Désastres de la guerre » qui lui sont antérieurs, la série de quarante estampes « Tauromaquia » (1815-1816, tirage de 1905) n’illustre pas seulement une corrida, elle raconte l’histoire de cette pratique. Goya représente ainsi à plusieurs reprises des Maures affrontant des taureaux, ce qui serait peut-être perçu aujourd’hui comme un sacrilège, tant par les musulmans que par les Espagnols.

Contrairement à Picasso, il y a chez Goya une intention documentaire par le réalisme de la figuration et la précision du trait. Faut-il voir dans cette série, comme pour les « Désastres », une métaphore voire une dénonciation de la violence de la société espagnole de l’époque ? Hier comme aujourd’hui, la corrida et ses représentations restent des exutoires, ce qui explique la permanence du sujet pour les artistes, encore au XXIe siècle. Mais s’y frotter après Picasso et Goya est encore plus difficile que toréer deux taureaux en même temps. La série de photographies (1990) prises par Jean Bescos et repeintes par Antonio Saura ne fait pas trop pâle figure, comme celle un peu plus anecdotique de Claude Viallat qui abandonne périodiquement ses osselets/haricots pour peindre toréador et taureaux sur tout ce qui lui passe entre les mains, panneau de contreplaqué, couvercle divers, fond de chaise. La série tauromachique (1996) de Gilles Aillaud  ou les Suites goyesques de Najia Mehadji soutiennent moins bien la comparaison.

La dernière salle du parcours rassemble des œuvres récentes, d’Hervé Di Rosa à Fromanger en passant par une installation de 126 figurines en terre cuite de Jean-Pierre Formica dans un méli-mélo qui dessert les artistes. Il ne faut pas chercher de propos scientifique à cette exposition qui semble satisfaire les nombreux visiteurs. Les moins intéressés par l’art peuvent toujours regarder photographies et films documentaires ou plonger dans une grande affiche gentiment désuète, annonçant une « Gran corrida de toros (sans picadors) » avec « 6 magnifiques toros » dans les arènes de Céret en 1932.

Le Peintre et l’arène

Commissaire de l’exposition : Nathalie Gallissot, directrice du musée

Nombre d’œuvres : environ 300

Le Peintre et l’arène, art et tauromachie de Goya à BarcelÓ

Musée d’art moderne de Céret, jusqu’au 12 octobre, 8, bd Maréchal-Joffre 66400 Céret, tél. 04 68 87 27 76, www.musee-ceret.com, tlj, 10h-19h (18h après le 15 septembre). Catalogue, éd. SilvanaEditoriale, 206 p. 28 €.

Légende Photo :
Pablo Picasso, Coupelle Picador, 15 avril 1953, série de 29 coupelles tauromachiques, Atelier Madoura, Vallauris, terre de Lugnon, décor aux engobes et oxydes métalliques, Musée d'art moderne de Céret. © Photo : Robin Townsend.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°419 du 19 septembre 2014, avec le titre suivant : Tauromachie : Goya, Picasso... et les autres

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