Armand Jalut : « Mes compositions sont des métaphores du désir »

À l'initiative des Abattoirs de Toulouse, Armand Jalut a pris possession des salles du château de Taurines, à Centrès (Aveyron).

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2014 - 676 mots

À l’initiative des Abattoirs de Toulouse, les travaux récents d’Armand Jalut ont investi le château de Taurines, à Centrès (Aveyron), avec une bande-son élaborée pour l’occasion.

Pour quelles raisons une bande-son spécialement conçue pour cet événement vient-elle accompagner votre exposition ?
L’idée d’une bande-son a vu le jour pour le projet du catalogue. J’ai collaboré avec un musicien, Nicolas Dubosc, qui a notamment travaillé pour Étienne Daho et Jane Birkin et avait à ses débuts composé des musiques de films pornographiques. Je lui ai proposé de développer un thème en relation avec mes dernières peintures. J’étais séduit par l’idée de faire apparaître l’allégorie érotique via un autre medium. J’ai par ailleurs écrit les paroles du titre Secretary Blouse, inspirées par le champ lexical et la symbolique de la lingerie.

S’agissait-il de créer une atmosphère particulière en adéquation avec les tableaux ?
Lorsque nous avons commencé à travailler, nous nous sommes basés sur des influences communes que nous voulions manipuler. Celles-ci vont de l’italo disco aux Happy Mondays en passant par Justify My Love de Madonna ou Crockett’s Theme (Miami Vice) de Jan Hammer. L’idée était de faire une bande originale de film et donc de garder un semblant de narration. C’est une vraie musique d’ambiance qui, grâce aux références qu’elle véhicule, démystifie l’objet tableau. Les spectateurs deviennent ainsi des figurants, quitte à faire basculer les œuvres dans une fonction de décor.

Par les références qu’elle manie – culture très populaire, fragments d’images extraits de photos publicitaires et retravaillés, etc. –, votre peinture apparaît souvent en décalage. S’agit-il d’une idée voulue et assumée ?

Mon iconographie est issue de documents personnels (photographies, posters, objets) que je collecte de manière quasi fétichiste. Je considère ces références comme des fragments, des annotations extraites d’un lexique exotique. Elles font cependant partie d’un langage commun sur lequel je pose un regard ambigu, ce qui produit peut-être ce décalage.

Votre peinture apparaît depuis quelques années comme un travail de construction d’une image, dans le sens où sont rassemblés à la surface des éléments disparates qui se télescopent et cohabitent. Comment travaillez-vous la composition de vos toiles ?
Depuis la série Alain Patrick (2011), où les compositions avec les cravates étaient faites au scanner, je suis peu à peu venu au collage via Photoshop. Certaines peintures de la série Rêveries insulaires (2012) sont proches du collage classique où les fragments sont agencés, superposés. J’envisageais ces associations comme des métaphores du désir, écrites à la manière d’une chanson pop, où les jambes revenaient comme un refrain. La série « Class » (2013) prend clairement en compte les spécificités de l’outil numérique ; machine à coudre industrielle et objets organiques s’imbriquent dans des formes hybrides. Comme j’utilise Photoshop de manière volontairement grossière, je ne cherche pas à masquer les aberrations, mais plutôt à les réinterpréter au moyen de la peinture. Les fonds unis se répartissent sur l’espace de la toile comme avec l’outil « pot de peinture » du logiciel. Le choix de la couleur vive s’apparente à une gamme de couleurs de t-shirts, et j’utilise notamment le scotch pour révéler certaines zones en réserve. Par contraste, l’objet (banane, mouette, etc.) est peint de manière plus stylisée.

Votre série « Class » s’inspire de la marque American Apparel et notamment du processus de confection avec la présence de machines à coudre. Souhaitiez-vous faire cohabiter un certain glamour de la marque et de son imagerie avec une réalité moins reluisante ?
American Apparel est en quelque sorte la version contemporaine de la marque Playboy, mettant au centre de sa communication le concept de la girl next door [NDLR stéréotype américain d’une fille ordinaire]. Quant à l’image peu flatteuse de son fondateur, Dov Charney, elle se construit comme n’importe quel mythe hollywoodien décadent. Les machines à coudre industrielles sont à mon sens iconiques. Ce sont d’abord des machines érotiques évidentes. Je les ai appréhendées sous l’influence d’œuvres comme Kustom Kar Kommandos de Kenneth Anger, mettant l’accent sur l’aspect rutilant de la mécanique. Dans un autre registre, les tragédies des usines de confections du Bangladesh leur donnent une symbolique plus macabre.

ARMAND JALUT. THE SECRETARY BLOUSE

Jusqu’au 19 octobre, château de Taurines, 12120 Centrès, tél. 05 65 74 28 47, www.lesabattoirs.org, en septembre dimanche 15h-18h, en octobre sur rdv. Disque/catalogue éd. B42.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°418 du 5 septembre 2014, avec le titre suivant : Armand Jalut : « Mes compositions sont des métaphores du désir »

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